samedi 1 avril 2023

Souvenirs empoisonnés : le deuil et l'addiction dans ASOIAF

___Les traumatismes jouent un rôle important pour une grande partie des personnages ; Sansa Stark déforme ses souvenirs d'événements traumatisants, Daenerys Targaryen refuse quant à elle de regarder en arrière... Duncan Hubber, de Tower of The Hand, a réalisé un petit essai pour tenter de comprendre comment les traumatismes changent nos protagonistes, et comment les souvenirs de ces derniers ont un rôle là-dedans.

__Vers le milieu de A Dance with Dragons, Jon Snow se souvient des jours plus chauds et plus simples de son enfance à Winterfell. Mais très vite, ses pensées deviennent douloureuses, alors qu'il songe aux tristes sorts des membres de sa famille, et du château qui n'est plus qu'un tas de ruines. Il songe alors avec amertume que ses souvenirs sont empoisonnés, avant de retourner à ses devoirs de Lord Commandant. Comme le lecteur, Jon a été changé par les atrocités qui ont été infligées aux Stark - l'exécution de Ned, la mise à sac de Winterfell, les Noces Pourpres - à un tel point, que c'est trop éprouvant de seulement s'identifier à eux. Les Stark n'étaient pas juste une famille de plus se battant pour le contrôle du Trône de Fer, ils étaient nos héros, nos modèles de vertu... enfin, c'est ce qu'on se disait, quand nous n'étions que de doux enfants de l'été. Mais maintenant, ils font partie des souvenirs empoisonnés qui infestent cette série : les fantômes qu'on soutenait, qu'on aimait, et qu'on a perdu.

__L'un des thèmes central d'A Song of Ice and Fire, c'est comment ce processus de perte et de deuil peut transformer quelqu'un. Plusieurs des pensées et actions des personnages à point de vue sont conduites par ce chagrin, par le fait qu'on leur a enlevé ou tué quelqu'un qu'ils aimaient, et le parcours pour accepter cette perte. La réaction la plus commune pour les personnages dans cette situation est un désir de vengeance : traquer les responsables jusqu'au bout du monde, et les détruire. Mais comme Martin l'explique, ces croisades sont aussi empoisonnées que la douleur qui les nourrit.

__La vengeance n'apporte pas la paix aux personnages, pas plus qu'aux lecteurs. Quand AGOT se termine, Robb Stark, fraichement couronné, déclare la guerre aux fourbes Lannister, mais très vite, la réalité de cette décision, se fait péniblement évidente, avec le chaos infligé dans le Conflant. Plus tard, nous sommes témoins de la souffrance de Rickard Karstark suite à la mort de ses fils, et de comment cela a conduit à la mort de deux enfants innocents et à des pillages inutiles. Le chouchou des fans Oberyn Martell s'est jeté dans les bras de la mort pour sa sœur assassinée, une dette de sang que son frère aîné, le prince Doran, a l'air impatient de poursuivre, et dans laquelle il est prêt à impliquer le reste de la famille. Pendant ce temps, Cersei compromet sa cour, sa famille et sa santé mentale pour venger son fils assassiné et protéger celui qu'il lui reste. Et bien sûr, Lady Cœurdepierre, qui fait son apparition à la fin d'ASOS, est la personnification même du deuil conduisant à une rage meurtrière - une mère qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher la guerre, et qui pourtant finit par vouer son corps et son âme à la destruction d'autres êtres vivants, répandant son agonie à travers un paysage de désolation. Les grandes dynasties de Westeros ont été élevées et ruinées par ces actes perpétuels de rétribution, des actes qui découlent d'une incapacité universelle à accepter le deuil. Pour beaucoup d'entre nous, le deuil est une émotion douloureuse, mais pourtant également calme et nécessaire, tandis que pour GRRM et ses personnages, c'est une émotion qui a le potentiel de détruire la personne qui en souffre et même le monde qui l'entoure.


→→→Masculinité toxique et deuil

__Robert Baratheon en est un bon exemple, puisque sa réaction à la perte de sa promise, Lyanna Stark, a littéralement transformé le monde autour de lui. Il y avait bien sûr des facteurs politiques dans le lancement de la rébellion de Robert, mais l'enlèvement de Lyanna (et les meurtres de Rickard et Brandon Stark) en était le cœur émotionnel. Ca a donné aux rebelles une résolution, une urgence face à un ennemi supérieur, et un but pour rendre ce soulèvement légitime, une cause à laquelle se rallieraient les nobles comme les paysans. Ce qui est tout de même important, c'est que Robert a pu satisfaire son désir de vengeance en tuant Rhaegar au Trident... mais cela ne referma pas sa blessure. Cela ne lui a pas rendu Lyanna, et comme on l'apprend dans les pensées de Ned, il y a de fortes chances qu'elle n'ait même jamais aimé Robert. Mais Robert l'aimait, ou du moins, l'idée qu'il s'était faite d'elle. Il romançait leur union de la même façon que le royaume romançait sa rébellion ; de plus, son apparente perfection et ses soi-disant sentiments réciproques, donnait à Robert une version idéalisée de lui-même. Ainsi, quand Lyanna est morte, une part de Robert est morte avec elle, et sans ennemi à vaincre ni jouvencelle à sauver, le roi-rebelle s'est retrouvée sans but ni passion, seul dans son chagrin, avec seulement un trône en compensation. La couronne qu'il avait gagnée était aussi creuse et insatisfaisante que le râle d'agonie de Rhaegar, et donc, peu à peu, le roi Robert a cherché à noyer sa perte en sombrant dans l'addiction.

__Le côté sombre de ses indulgences s'est révélé le jour de ses noces avec Cersei Lannister, au cours desquelles Robert était tellement soûl qu'il s'est convaincu que c'était bien Lady Lyanna blottie sous ses royales couvertures, impatiente d'enfin consommer leur amour. Alors que ses années de règne se poursuivaient, Robert est devenu réputé pour les litres de vin et les montagnes de nourriture qu'il engloutissait, et qu'il devenait un obèse alcoolique et dépendant. A la cour, on plaisantait en disant que lorsque les problèmes du royaume étaient exposés devant le trône, sa grâce se retirait pour une expédition de chasse. Son goût pour les femmes était tout aussi notoire, Robert recherchant des compagnes de plus en plus jeunes. Peut-être était-ce une tentative désespérée de garder intact le souvenir d'une Lyanna adolescente et en vie, et de vivre en boucle le fantasme de leur nuit de noces. Ironiquement, la mort de Lyanna aura épargné à Robert d'avoir à affronter la réalité de sa relation avec Rhaegar. Elle peut rester à jamais un objet de pureté et de désir pour lui, et sa mort servait à justifier les atrocités commises contre les Targaryen. Des bébés assassinés n'étaient rien de plus que de la sale engeance aux yeux de Robert.

__Dans la conversation qu'il a avec Ned avant de partir pour sa dernière expédition de chasse, Robert semble admettre que Lyanna n'a jamais été sienne. Pourtant, il doit sans cesse se convaincre que le mensonge est réel, sinon, il verrait un monstre dans le miroir. C'est un mensonge qui a pourri à l'intérieur de Robert, une blessure qu'il a essayé de garder endormie avec des indulgences et des distractions sans fin. Comme avec toutes les addictions, celles dont souffrait Robert dans les dernières années de sa vie lui servaient à s'échapper de la réalité ; elles lui permettaient de simuler un sentiment de plaisir et de soulagement, sans lequel il n'éprouverait que de la honte. Elles lui permettaient d'échapper au souvenir de Lyanna et de Rhaegar, et aux milliers de problèmes qu'il devait résoudre chaque jour. Mais plus que tout, elles lui permettaient de vivre tel qu'il avait vécu auparavant, dans sa jeunesse, à son apogée, quand il n'y avait que des promesses et de l'espoir devant lui, quand tout le monde l'appréciait et quand il s'aimait lui-même, surtout. Même si ce sentiment ne durait que quelques heures, Robert le pourchassait, et plus sa vie empirait, plus il pourchassait ces illusions... jusqu'à s'empiler sur les défenses d'un sanglier. Comme toutes les blessures non traitées, celle-ci s'est infectée et l'a tué.


→→→Dépendance à l'égard d'autres personnes

__Le personnage de Tyrion Lannister sert d'antithèse au roi Robert. Dans sa jeunesse, le fils aîné de la maison Baratheon était un meneur d'hommes audacieux, autoritaire et séduisant, souvent grossier, mais aussi charmant, et apte à devenir ami avec n'importe qui, y compris ses ennemis. En comparaison, le gnome, comme il était surnommé, a grandi difforme et méprisé, y compris par sa famille, mais malgré ces handicaps (ou peut-être grâce à eux), il a également développé un esprit vif et cultivé, et une langue acérée. Cependant, comme Robert, Tyrion est hanté par le souvenir d'un amour perdu, et par un mélange de culpabilité, de trahison et de dégoût de soi. Mais tandis que Robert a passé sa vie à entretenir le mensonge que cet amour était réciproque, Tyrion s'est convaincu - ou laissé convaincre - que sa première épouse Tysha ne l'avait jamais aimé, n'aurait jamais pu l'aimer ; après tout, qui aurait pu aimer le monstre difforme qu'il est, qui a tué sa mère pour venir au monde ? Tel est ce qu'on lui a répété, encore et encore...

__Tyrion a subi des abus émotionnels toute sa vie, principalement de la part de son père et de sa sœur, et pour s'en sortir, il a développé son esprit pour repousser les insultes à son encontre. Pourtant, malgré ce tempérament acéré, le Tyrion que nous rencontrons au début de la série est une personne plus ou moins décente, surtout en comparaison avec les autres Lannister. Etant lui-même un paria, il ne manque pas de faire preuve d'empathie pour les "bâtards, infirmes et choses brisées" de ce monde. Et même quand il écope soudainement de pouvoir, il s'en sert pour gouverner avec justesse et améliorer la vie des nobles comme du peuple. Cependant, il reste très conscient de la façon dont le monde le voit, et en vient donc à jouer le rôle du monstre que les autres pensent qu'il est, car, comme il l'explique à Jon Snow, si on porte une faiblesse comme une armure, alors cette faiblesse ne peut jamais être utilisée pour nous blesser.


__Cela peut avoir l'air d'une stratégie efficace, et Tyrion est très impressionnant avec son aptitude à se servir des mots comme s'ils étaient des poignards, mais, petit à petit, cette armure qu'il s'est confectionné pour se protéger l'isole, et est réduite à son seul but de lancer des remarques acerbes. L'idéalisme avec lequel Tyrion débute son mandat de main du roi est peu à peu compromis par la peur d'être considéré comme vulnérable, inepte ou impotent aux yeux de la cour. Au début d'ACOK par exemple, il fait discrètement jeter à la mer un infanticide, mais à la fin du même roman, il menace de coups et de viol son propre neveu, Tommen. Bien sûr, ces mots n'étaient qu'un moyen de "jouer au monstre" et de prévenir d'autres attaques de la part de Cersei. Cependant, après avoir perdu tout pouvoir et qu'il ait été défiguré au début d'ASOS, Tyrion envisage la possibilité d'appliquer ces menaces plutôt que de paraître pour un faible ; Tommen ne subit heureusement pas ces sévices, mais le fait que Tyrion ait sérieusement envisagé de le faire montre le début de la désintégration de ses valeurs morales, qui atteignent un nouveau cap lors de ses dernières confrontations avec Jaime et Tywin, suivi du long et lent courant de misère qui rythme son histoire dans ADWD.

__La tragédie de Tyrion est que, comme Robert, il rêvait d'être aimé ; et bien qu'il continue à enfiler son armure de monstre de temps en temps, Tyrion continue d'imaginer un jour où les gens parviendront à le voir au-delà de ses traits grossiers, pour voir en lui le héro de l'histoire. En effet, l'une des raisons pour lesquelles il s'est tant dédié à la défense de Port-Réal était parce qu'il pensait enfin recevoir éloges et acceptation suite à ça ; au lieu de ça, son corps mutilé a été traîné hors du champ de bataille et caché dans une petite cellule sombre et humide, pour que son noble père et son joli neveu puissent être paradés dans la cité, et recevoir les applaudissements. Ils se rappellent qu'ils ne l'aimeront jamais, alors qu'ils aillent tous au diable. Et pourtant, au plus profond de lui-même, une petite voix naïve insiste, 'Et si ils y arrivaient ?' C'est cette même petite voix qui a flirté avec Tysha, il y a de nombreuses années en arrière - un gamin naïf qui a apprécié deux semaines de bonheur dans les bras d'une paysanne, et l'a payé avec toute une vie de honte. C'est là que Shae entre en scène.

__Son frère aîné Jaime pourrissant dans un donjon, Shae est la seule personne dans la vie de Tyrion qui lui offre un peu d'affection, la seule personne avec qui il a le sentiment de pouvoir être ouvert. Alors que les pressions qui vont avec le gouvernement augmentent, il trouve du réconfort dans ses bras. Mais le fait est que Tyrion ne voit jamais vraiment Shae en tant que personne... et le lecteur non plus. Martin la traite plutôt comme une toile vide, peu différente des centaines d'autres prostituées que Tyrion (et Robert) a connu : un vaisseau vide et joli dans lequel il peut déverser ses fantasmes et ses vulnérabilités, et ses sentiments non résolus pour son amour perdu.


__Pour quelqu'un qui se sent perpétuellement abusé et persécuté par le monde, Shae permet à Tyrion d'avoir l'impression qu'il a du pouvoir pour la première fois dans sa vie, en stipulant ce qu'elle peut faire, dire, porter, quand elle arrive, quand elle repart ; un contrôle qu'il n'avait pas il y a quinze ans, quand il a regardé sa jeune épouse se faire violer à de multiples reprises avant de participer au crime. Le traumatisme de cet événement n'a pas quitté l'esprit de Tyrion, et a toujours des effets néfastes sur ses capacités à nouer des relations avec d'autres femmes ; son obsession pour les prostituées en est un symptôme, pas seulement parce que ça lui donne le contrôle de sa sexualité, mais aussi ça renforce une certaine distance entre le sexe opposé et lui, en plus de garder ses émotions sous clé. Mais ce rituel est encore une fois contrarié par le désir de se lier avec quelqu'un, d'aimer et être aimé en retour, et surtout, de croire que ces deux semaines de bonheur avec Tysha n'étaient pas un mensonge.

__Ainsi, il tombe amoureux de Shae. Elle devient sa drogue, lui permet d'échapper à la réalité de sa vie, et à la haine et au mépris qu'il ressent de la part des personnes autour de lui. Elle l'accepte, lui offre confort et plaisir, et comme toutes les drogues, plus sa vie lui échappe, plus il devient dépendant. Plusieurs de ses décisions les plus douteuses viennent d'un désir désespéré de la garder cachée, dont les menaces envers Tommen et l'assassinat du barde Symon Langue d'Argent. Mais en fin de compte, Shae révèle qu'elle n'avait jamais aimé Tyrion, qu'elle ne faisait que jouer le rôle pour lequel il l'avait engagée lors de leur première rencontre. Craignant pour sa vie après le meurtre de Joffrey, elle vend Tyrion à sa sœur, et devient également la maîtresse de Tywin. Un coup dévastateur pour Tyrion.

__Jaime résume l'ironie tragique de l'affaire, lorsqu'il révèle finalement que Tysha n'a jamais été une prostituée. Son amour pour Tyrion était sincère, et elle n'en avait rien à faire de la richesse ou du prestige des Lannister. Mais à ce stade, cela n'a plus d'importance. Le mal est fait. Il n'y aura pas de réconciliation. Il est également important de noter que, comme Robert, Tyrion n'éprouve aucune satisfaction après s'être vengé. Lancer cette flèche dans le ventre de son père ne ramène pas Tysha ; elle n'existe plus que comme du venin dans la vanité de Tyrion. Ses pérégrinations dans le cinquième tome semblent en partie motivées par le désir de retrouver Tysha, peut-être pour lui demander pardon, mais le mantra "Où vont les putains ?" ressemble à une énigme à laquelle on n'est pas censé répondre. La question la plus importante est la suivante : Tyrion sera-t-il un jour capable de se pardonner ?


→→→Le fanatisme religieux

__Ce n'est pas un grand secret que le fanatisme excessif (à l'exception des cas d'affichage politique) est souvent le résultat de dysfonctionnements psychologiques chez une personne, et cela a l'air d'être le cas pour Aeron Greyjoy et Melisandre d'Asshai. On sait peu de choses sur la jeunesse de ces deux personnages, mais l'auteur glisse ici et là quelques indices semblant se référer à un événement traumatisant ayant eu lieu lors de leur enfance. Une phrase en particulier hante Mélisandre lorsqu'elle contemple ses feux : "Melony. Lot sept." Cette phrase rappelle les blocs d'enchères sur lesquels Tyrion se trouve lorsqu'il est capturé et vendu comme esclave à la Baie des Serfs, suggérant que Mélisandre a été vendue aux Prêtres Rouges, peut-être par ses parents, ou peut-être contre leur volonté. De son côté, Aeron a un cauchemar récurrent d'une charnière en fer rouillée qui grince dans la nuit, un son qu'il associe à son horrible frère Euron. Les lecteurs ont émis l'hypothèse qu'Euron aurait abusé sexuellement d'Aeron et son jeune frère Urrigon quand ils étaient petits, la charnière elle-même devenant le point central de leur traumatisme, car elle signalait l'entrée d'Euron dans leur chambre la nuit. À l'époque des romans, les deux personnages sont adultes et sont tous deux fanatiquement dévoués à une idole religieuse - Melisandre est une prêtresse de R'hllor et Aeron est un prêtre du Dieu Noyé.

__Plus que de vénérer leurs dieux respectifs, comme le font de nombreux citoyens parfaitement ordinaires des Sept Royaumes, ces deux-là semblent renoncer à toute notion d'indépendance personnelle, définissant leurs pensées et leurs actions comme les instruments d'une volonté divine. La raison derrière cela serait le désir de brûler (ou de noyer) ces souvenirs empoisonnés, pour renaître comme quelqu'un d'entièrement différent. Le fait de s'en remettre à une puissance supérieure leur permet de se dissocier de leur traumatisme passé et de se sentir en sécurité, en sachant que rien de ce qu'ils font, et rien de ce qui leur a été fait, n'a jamais été de leur faute. De plus, cela nourrit l'idée qu'il existe quelque chose de plus grand qu'eux, une puissance qui les protégera s'ils se soumettent à son plan. Ainsi, le sentiment de confusion qu'éprouvent les deux personnages lorsque leurs prières ne sont pas exaucées (Mélisandre recevant de fausses visions et Aeron ne pouvant empêcher son frère de monter sur le trône), est viscéral ; après avoir investi tout leur être dans une religion, ils ressentent presque un sentiment de trahison face à son impuissance, et pour Aeron en particulier, le fait que leur réalité s'effondre autour d'eux.


__Il est également intéressant de noter qu'avant sa conversion religieuse, Aeron souffrait d'un alcoolisme extrême. Cela peut être interprété comme un premier moyen de noyer la douleur de son enfance et le grincement de cette charnière en fer rouillée. Avec une coupe de vin dans une main et une hache dans l'autre, le jeune Aeron a essayé de faire disparaître ce souvenir en riant, de faire comme si rien ne s'était passé. Ce n'est peut-être que lorsque Stannis l'a envoyé, lui et son navire, dans les vagues agitées de Belle Île, et que les Lannister l'ont traîné sur le rivage et l'ont enfermé, que le passé a finalement rattrapé Aeron Greyjoy. Obligé de s'asseoir seul dans les cachots de Castral Roc, entouré par l'obscurité et le cliquetis lointain des barres de fer, la sobriété a pu se frayer un chemin jusqu'à lui. Il n'y avait plus de barrière entre Aeron et ses pensées, plus de bouteille dans laquelle s'échapper. Il s'est donc tourné vers la seule source de réconfort à laquelle il pouvait penser : le Dieu Noyé qui l'avait sauvé d'une mort certaine. "Je suis né à nouveau [ce jour-là]", se dira-t-il plus tard. Il n'était plus "la chose faible qu'il avait été", la chose faible qui s'était recroquevillée sous sa couverture lorsque la porte de sa chambre s'était ouverte. Comme pour Robert et Tyrion, ce sentiment suggère un profond dégoût de soi.

__Comme beaucoup de victimes d'abus, Aeron a développé une haine intense à l'égard son frère aîné, mais parce qu'Euron invalide ces sentiments de façon si constante et si habile (en les qualifiant de rancuniers ou d'enfantins, et en lui imposant le silence), Aeron les a intériorisés. Cela a créé une prison d'émotions négatives dont il est incapable de s'échapper, car il ne peut pas exprimer la rage ou le désespoir qu'il ressent. C'est la cause de son alcoolisme, de son fanatisme religieux et de sa compulsion à être noyé et réanimé. Ses addictions lui permettent de se libérer et d'endormir une partie de cette accumulation, en échangeant la douleur émotionnelle contre une douleur physique.

→→→Conclusion

__ Il y a certes des moments sombres dans ASOIAF, mais il y a aussi des moments d'espoir et d'humour, d'excitation et de beauté, de courage et d'amour. Il est important de se souvenir de ces moments, même si l'on a envie de jeter le livre dans la cheminée et de maudire GRRM avec toutes les horreurs qui s'y produisent. Le chagrin est le sentiment dominant de cette œuvre ; après tout, c'est l'histoire d'un pays ravagé par la guerre, déchiré par la mort et la décadence, et menacé par une armée de morts-vivants. Dans la fantasy traditionnelle, lorsque nous pensons à la guerre, nous imaginons de grandes charges de cavalerie, de brillants chevaliers échangeant des coups sous des bannières resplendissantes, et la musique de l'acier et des cornes de guerre balayant le royaume. Ce que nous n'imaginons pas, mais que Martin juge nécessaire de nous montrer, ce sont les terres brûlées, les montagnes de cadavres et les déserteurs qui errent sur les routes comme des prédateurs.

__Ce n'est pas la première guerre dont les sept royaumes ont été témoins, et ce ne sera pas la dernière. Et tôt ou tard, tous les personnages s'écrouleront sous le poids du chagrin, ils se sentiront brisés, vides et perdus. Certains de ces personnages ne se relèveront jamais. Mais d'autres se relèveront. Ils se relèveront au moment où ils arrêteront de courir, au moment où ils se retourneront et regarderont leurs fantômes dans les yeux, et reconnaîtront que leur passé fera toujours partie d'eux, mais qu'il n'a pas à les contrôler. Comme l'a dit un roi sage, les bons côtés d'une personne n'effacent pas les mauvais, et les mauvais côtés n'effacent pas les bons. Mais vous devez boire ce poison qu'est le deuil pour pouvoir aller de l'avant.

Traduction : moi // Source : towerofthehand.com

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