mercredi 1 mars 2023

Chagrin d'un vieillard


→→Les pluies débutèrent le lendemain, et les flots se firent plus durs. “Nous ferions mieux d'aller en bas, là où il fait sec,” conseilla Sam à mestre Aemon, mais le vieillard se contenta de sourire avant de décréter : “J'aime sentir l'averse sur mon visage, Sam. Elle me donne l'impression que ce sont des larmes. Laisse-moi rester là quelque temps encore, je t'en prie. Cela fait une éternité que je n'ai pas pleuré.”
→→Du moment que le mestre entendait s'attarder sur le pont, tout frêle et âgé qu'il fût, Sam n'avait pas d'autre solution que de s'aligner sur son choix. Il demeura donc à ses côtés pendant près d'une heure, recroquevillé dans son manteau, tandis qu'une pluie douce mais tenace le trempait jusqu'à la peau. Aemon semblait à peine y être sensible. Il soupira puis ferma ses paupières, et Sam se mit tout auprès de lui pour le préserver des pires morsures du vent. Il me demandera bientôt de l'aider à regagner la cabine, se dit-il. Il doit le faire. Mais le mestre n'en fit rien. A la fin, le tonnerre se mit à gronder dans le lointain, du fin fond de l'est. “Il nous faut descendre,” dit Sam en grelottant. Le vieil homme ne répondit pas. Ce fut seulement alors que Sam comprit qu'il s'était endormi d'un sommeil de plomb. “Mestre Aemon, dit-il en le secouant par l'épaule avec mille ménagements. Mestre, allons, là, réveillez-vous...”
→→Les yeux blanchâtres de l'aveugle finirent par s'ouvrir. “L'Œuf ? fit-il, tandis que la pluie ruisselait sur ses joues. L'Œuf, j'ai rêvé que j'étais vieux.”
→→Sam ne savait pas que faire. Il s'agenouilla pour le cueillir dans ses bras et l'emporter en bas, sous le château de poupe. Personne n'avait jamais eu l'idée de le qualifier de costaud, mais mestre Aemon, malgré la pluie qui avait détrempé ses noirs et le rendait deux fois plus lourd, ne pesait guère plus qu'un enfant.
 A Feast for Crows, Samwell II

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire