mardi 30 juin 2020

George R.R. Martin sur Theon Greyjoy et le traitement des pupilles nobles

 

___Pour être poli on dit un pupille mais en vrai c'est un otage...

___En conséquence de la rébellion Greyjoy, Theon Greyjoy - le troisième et seul fils survivant de Balon Greyjoy, sire de Pyke - est donné à Ned Stark comme pupille. Si vous gagnez contre un ennemi et que vous signez des conditions de paix, le Lord vaincu doit abandonner l'un des membres de sa famille, auquel il doit tenir, qui devient un otage de l'un des vainqueurs : l'otage part donc vivre dans la maisonnée du vainqueur, et, puisqu'il est noble, n'est pas enfermé dans un cachot, est bien traité... mais c'est quand même un otage.

___Une fiction polie dit que c'est la même chose qu'un pupille, mais c'est faux. Ils sont traités de la même façon : comme ils sont de sang noble, ils mangent à table avec la famille qui les accueille, et on parlera d'eux comme d'une pupille. Mais tout le monde sait que ce sont des otages qui doivent garantir le bon comportement de leur père : même si de l'affection et de l'amitié se développe, si le père trahi les termes de la paix, la 'pupille' peut le payer de sa vie.
” Source

dimanche 28 juin 2020

Les dettes de Tyrion Lannister : Port-Réal (Analyse de A Dance with Dragons & Théories pour The Winds of Winter) [1/3]

 

→→On attaque à présent l'arc de Tyrion Lannister : fugitif de l'autre côté du Détroit, le lord déchu ronge son frein, comptant sur Daenerys Targaryen pour l'aider à se venger... mais avant d'aborder cette partie, il faut voir quel genre de personnage est Tyrion.

___Quand débute A Song of Ice and Fire, Tyrion Lannister a une bonne situation. Il lit des bouquins, se promène à Winterfell et au Mur, apprécie une vie libre de responsabilités. Il tente de faire de bonnes actions et d'offrir des conseils avisés - parlant à Jon de son statut de bâtard, réprimandant Joffrey pour ne pas avoir offert ses respects aux Stark, consultant les besoins de la Garde de Nuit, élaborant les schémas d'une selle spéciale pour Bran. Mais quand Tyrion pénètre dans l'auberge du carrefour, sa vie change radicalement et irrévocablement. Son arrestation par Catelyn Stark le précipite dans le jeu des trônes, et il se retrouve contraint d'y prendre part ou de mourir. Mais Tyrion découvre être doué à ce jeu, et après un peu de chance sur un champ de bataille, il devient Main du Roi à la fin du premier tome. C'est là que les choses deviennent intéressantes.

___En tant que main, Tyrion fait initialement le vœu de rendre la justice, mais prend rapidement la route d'un chemin de pragmatisme et d'auto-préservation. Il essaye de diriger de son mieux, s'en sort assez bien, et en vient à apprécier avoir du pouvoir. Mais le jeu des trônes est dangereux, et son côté sombre commence à émerger. Des traumatismes de son enfance remontent à la surface. Des gens auxquels il tient sont mis en danger. Et Tyrion lui même se dit qu'il doit être cruel et impitoyable, parce que c'est la seule façon de gagner. Pour finir, il est rejeté par les personnes dont il recherche l'approbation, et vit une succession de trahisons de la part de ceux qu'il aimait le plus. Et pendant tout ce temps, la terrible figure paternelle le hante et l'émerveille.

___Cette nouvelle analyse en trois parties par l'auteur du Meereenese Blot se consacre à l'arc de Tyrion, ses valeurs, sa moralité, son état métal, et le conflit en son cœur. Comment a-t-il joué au jeu des trônes jusqu'à présent, comment le jeu l'a changé, et comment il jouera dans le futur. Cette première partie se focalise sur le rôle de Tyrion à Port-Réal, sa période en tant que main : comment après avoir cherché à rendre la justice, il en est venu à rechercher la vengeance.

____Justice, ou pragmatisme ?

___→ “Et que vas-tu faire, m'sire, main'nant que t'es la Main du roi ? demanda Shae, comme il posait sa main en coupe sur la douce chair tiède.
___- Quelque chose à quoi Cersei est loin de s'attendre, lui murmura-t-il au tendre du cou, rendre... justice.”
 A Clash of Kings, Tyrion I

___Le premier chapitre de Tyrion à Port-Réal se termine par cette déclaration. Mais intéressons-nous de plus près à ce que Tyrion semble vouloir en tant que Main. Il est vrai que, en règle générale, il veut se montrer compétent lors de son règne. Il veut renforcer les défenses de la ville, s'assurer que ses habitants soient nourris et protégés d'éventuels assaillants.

___Est-ce vraiment de la justice, cependant ? Comme on le sait à cause de Stannis, “justice” est un mot d'une certaine puissance. C'est un terme qui sous-entends punir ceux qui font le mal et récompenser ceux qui œuvrent pour le bien. Ce n'est pas toujours admirable non plus, comme le note Varys :

___→ “Le dernier des monstres est ici-bas moitié moins terrifiant qu'un homme éperdu d'équité.” A Game of Thrones, Eddard XV

___On dirait en fait que Tyrion montre assez peu d'intérêt à rendre la justice pendant son mandat. Tyrion est pragmatique de souche, et quand des occasions de justices et d'injustices surviennent, elles figurent très bas sur la liste des priorités de Tyrion, face à son objectif principal de maintenir son pouvoir et celui de sa famille : un désir rhétorique de faire la justice rentre rapidement en conflit avec les nécessités de rester au pouvoir. De plus, Tyrion place le pragmatisme et le pouvoir bien au dessus de ses soucis de moralité : il n'est pas Eddard Stark.

___Martin contredit le désir de justice de Tyrion très tôt dans le deuxième tome. Agissant sur les ordres de Janos Slynt, Allar Deem de la Garde de la Ville a tué la jeune prostituée Mhaegen et son bébé (une bâtarde du défunt roi Robert). Evidemment, assassiner un bébé et sa mère est un acte abject, et la justice demande que le responsable soit puni. Mais Tyrion réalise vite qu'il ne peut pas tuer la personne qui est vraiment coupable : Cersei. De plus, il n'est pas sûr d'en avoir vraiment envie :

___→ Il ne pouvait toucher à Cersei, il le savait. Pas encore. Dût-il même en crever d'envie, ce qui n'était rien moins que sûr. Mais en être réduit à ces pantalonnades de justice l'ulcérait. A quoi rimait de châtier ces sous-fifres de Janos Slynt et Allar Deem, pendant que sa sœur poursuivait allègrement sa carrière de férocité ? A Clash of Kings, Tyrion II

___Le pragmatisme a déjà dépassé la justice dans ce cas. A la fin du même chapitre, Martin retourne un peu plus le couteau dans la plaie pour Tyrion. Il sait qu'il a puni les tueurs de bébé, Slynt et Deem... mais il est forcé de réaliser qu'ils ne sont pas tellement différents de ses propres hommes de main :

___→ Tyrion se sentait gris et vanné. “Dis-moi, Bronn. Si je t'ordonnais de tuer un bébé... une petite fille, en fait, encore au sein..., le ferais-tu ? Sans poser de questions ?
___- Sans poser de question ? Non.” Il se frotta l'index contre le pouce. “Je demanderais combien.
___Et que voudriez-vous que j'en foute, lord Slynt, de votre Deem ? songea Tyrion. J'en ai cent à moi. Il avait envie de rire, il avait envie de pleurer. Et, par-dessus tout, il avait envie de Shae.
 A Clash of Kings, Tyrion II

___Ce passage introduit un thème qui reviendra dans d'autres discussions de Tyrion avec Tywin sur la moralité du pouvoir - l'idée qu'un dirigeant a besoin de fauves pour protéger sa position, ce qui peut rentrer en conflit avec toute tentative de justice :

___→ “Justice, je lui ai promis.” [...] “Ou bien vous êtes-vous si fort amouraché de Gregor Clegane que vous ne puissiez supporter de vous séparer de lui ?
___- Ser Gregor a son utilité comme son frère en avait une. Tout seigneur a besoin d'un fauve de temps en temps... leçon que tu sembles avoir retenue, si j'en juge par ton ser Bronn et par ta bande de sauvages.
___Tyrion récapitula mentalement l'œil brûlé de Timett, les haches de Shagga, les oreilles séchées que Chella portait en sautoir. Et Bronn. Bronn par-dessus tout.
 A Storm of Swords, Tyrion I

___L'évaluation de Tyrion du pragmatisme par rapport à la justice est également évidente quand, comme Ned dans le premier tome, il est informé des crimes de guerre de la Montagne. Alors que Ned lance une croisade pour rendre justice, Tyrion analyse la situation en termes pragmatiques uniquement :

___→ Alors, Ned éleva la voix de manière à se faire entendre de la salle entière. “[...] Je vous charge, moi, Eddard, de la maison Stark, de Main, de gagner à bride abattue les contrées de l'ouest, de franchir la Ruffurque du Trident sous l'étendard royal et d'appesantir la justice du roi sur le prétendu chevalier Gregor Clegane et sur chacun de ses complices. A Game of Thrones, Eddard XI

___→ “Un seigneur venu tout exprès du Trident accuser les hommes de votre père d'avoir incendié son fort, violé sa femme et zigouillé tous ses paysans.
___Sauf erreur, on appelle cela guerre.” Il subodorait là un coup de Gregor Clegane, de Ser Amory Lorch ou de cet autre cerbère chouchou de lord Tywin, Qohorik. “Que réclame-t-il de Joffrey ?
___- De nouveaux paysans. Il s'est tapé tout ce voyage pour vous enchanter de sa loyauté et en obtenir récompense.
___- Je prendrai demain le temps de m'occuper de lui.” Que l'homme fût authentiquement loyal ou simplement aux abois, sa complaisance dans le Conflans pouvait être utile. “Veiller à lui faire attribuer une bonne chambre et servir un repas chaud. Envoie-lui aussi des bottes neuves - de bonnes -, en don gracieux de Sa Majesté Joffrey.”
 A Clash of Kings, Tyrion IV

___Bien sûr, la plus grosse contradiction des allégations de Tyrion de vouloir rendre justice est Joffrey lui-même. Evidemment, Tyrion intervient à plusieurs reprises pour tempérer les excès de Joffrey. Cependant, il sait très bien que (1) les prétentions au trône de Joffrey sont loin d'être très fortes, et (2) Joffrey est un roi incompétent et sadique, qui n'est pas fait pour être mis en position de pouvoir. Et pourtant, il travaille d'arrache pied pour que Joffrey reste sur le trône :

___→ Se peut-il vraiment qu'elle s'aveugle à ce point sur la nature de son fils ? [...]
___“Ah, oui, du roi, marmonna Tyrion. Mon neveu ne saurait se tenir sur sa chaise percée. A plus forte raison sur le Trône de Fer.”
 A Clash of Kings, Tyrion IX

___Plus tôt, en réponse aux accusations de Stannis sur les origines de Joffrey, Tyrion accepte de mettre en route le plan proposé par Petyr Baelish de répandre de fausses rumeurs sur les origines de la fille de Stannis, Shireen :

___→ Quelque répugnance qu'eût Tyrion à l'admettre, le stratagème de Littlefinger promettait. Sans avoir jamais été épris de sa femme, Stannis était soupçonneux par nature et se montrait aussi épineux qu'un hérisson quant à son honneur. S'il était possible de semer la discorde entre lui et ses partisans, la cause Lannister ne s'en porterait que mieux. A Clash of Kings, Tyrion III

___Inventer des histoires pour garder sur le trône un roi consanguin et maléfique, tout en dénigrant celui dont les prétentions sont légales, est une drôle de façon de rendre justice ! A ce stade, la justice est donc loin d'être une priorité pour Tyrion.

____Le désir de Tyrion d'être aimé

___Le désir de Tyrion de rendre justice s'évanouissant assez rapidement, on est en droit de se demander s'il s'en souciait vraiment. Il aurait plutôt une autre motivation. Le but principal de Tyrion quand il était Main, et dans la vie, est d'être aimé. Ce désir est ancré dans un traumatisme majeur de sa jeunesse. Il pensait avoir trouvé l'amour avec Tysha, une fille de paysan, qui l'avait épousé. Mais ensuite, sur ordres de Tywin, Jaime a '''''révélé''''' qu'elle n'était qu'une prostituée qui en voulait à son argent et qui faisait semblait de l'aimer. Tyrion en a ensuite conclu qu'aucune femme ne pourrait jamais l'aimer vraiment :

___→ N'apprendras-tu jamais rien, nain ? Une putain, maudit sois-tu, qui n'aime que ton argent, pas ta queue. Te souviens, Tysha ? A Clash of Kings, Tyrion I

___→ “Est-ce qu'une putain peut aimer véritablement ? Non, ne répondez pas. Il est des choses que je préfère ignorer.” A Clash of Kings, Tyrion II

___→ “J'aime prononcer ton nom. Tyrion Lannister. Il va avec le mien. Pas le Lannister, l'autre. Tyrion et Tysha. Tysha et Tyrion. Tyrion. Mon seigneur Tyrion . . .”
___Mensonges, pensa-t-il, rien que simagrées, que cupidité, une pute, la pute de Jaime, le cadeau de Jaime, ma dame de menterie.
 A Clash of Kings, Tyrion XV

___Pourtant, Tyrion continue à espérer qu'on l'aime, même s'il se répète qu'il est impossible pour une femme d'aimer un nain. Il songe qu'il est hanté par Tysha, et vers le milieu du deuxième tome, on peut voir qu'il espère désespérément qu'enfin, quelqu'un l'aime pour lui:

___→ Candeur et câlins, mensonge, mensonge de bout en bout, sa Tysha n'était qu'une putain louée par Jaime pour le déniaiser.
___Je suis délivré d'elle, à présent. Elle a hanté la moitié de ma vie, mais je n'ai plus besoin d'elle, et pas davantage besoin d'Alayaya, d'Almée, de Marei ni des centaines de leurs pareilles avec qui j'ai couché entre-temps. J'ai Shae, maintenant. Rien que Shae.
 A Clash of Kings, Tyrion VII

___Tyrion ne tombe pas amoureux de Shae à cause de sa beauté ou de sa personnalité. Il tombe amoureux d'elle parce qu'il veut être aimé, et qu'il pense qu'elle l'aime en retour :

___→ Les pia-pias, il en avait sa claque ; ce qu'il lui fallait impérativement, c'était la volupté toute simple et apaisante entre les cuisses de Shae. Le seul lieu du monde où il fut bienvenu, désiré. A Clash of Kings, Tyrion X

___Mais le désir d'être aimé de Tyrion va bien plus loin que Shae, comme le note Cersei :

___→ “Robert voulait des sourires et des ovations, toujours. Aussi courait-il où il en trouvait, chez ses amis et chez ses putes. Robert voulait être aimé. Tyrion, mon frère, est atteint du même mal. A Clash of Kings, Sansa IV

___Il veut être aimé par le peuple de Port-Réal, et obtenir leur reconnaissance et leur admiration :

___→ “Bref, on exècre ma famille, c'est bien cela ?
___- Mouais... et si l'occasion s'en présente, elle le paiera cher.
___- Moi de même ?
___- Demandez à votre eunuque.
___- C'est à vous que je le demande.”
___Du fond de leurs orbites, les yeux de Prédeaux s'attardèrent sur les prunelles dépareillées du nain et ne cillèrent pas. “Vous plus que tout, messire.
___- Plus que tout ?” Pareille injustice avait de quoi le révulser. “C'est Joffrey qui leur a dit de manger leurs morts, Joffrey qui a lancé son chien sur eux. Comment pourrait-on m'en faire grief, à moi ?
 A Clash of Kings, Tyrion IX

___Quelques mots de gentillesse de la part de Garlan Tyrell, dans ASOS, ont un effet remarquable sur lui :

___→ “Non, madame, dit Ser Garlan. Messire Lannister est né pour accomplir de grands exploits, pas pour les chanter. N'eussent été sa chaîne et son feu grégeois, l'ennemi traversait la rivière. Et si ses sauvages n'avaient tué la plupart des éclaireurs de lord Stannis, jamais nous n'aurions été en mesure de prendre celui-ci au dépourvu.”
___Ces quelques mots enflèrent Tyrion d'une gratitude tellement inepte [...].
 A Storm of Swords, Tyrion VIII

___Dans un rêve qu'il fait à la fin d'ACOK, on voit encore une fois combien Tyrion veut être aimé et accepté par les autres - en particulier par son père :

___→ A présent, c'est à un banquet que le conviait son rêve, un banquet de victoire, dans une vaste salle. Il trônait en haut de l'estrade, et, gobelets brandis, des hommes l'ovationnaient comme un héros. Là se trouvait Marillion le rhapsode jadis mêlé à l'équipée dans les montagnes de la Lune, et il célébrait en s'accompagnant sur la harpe son audace et ses prouesses à lui, Lutin. Et Père lui-même souriait d'un air approbateur. La chanson achevée, Jaime bondissait de sa place. “A genoux, Tyrion,” ordonnait-il, et son épée d'or lui touchait une épaule puis l'autre. Ainsi se relevait-il chevalier. Shae n'attendait que le moment de l'embrasser. Elle lui prenait la main et, rieuse et taquine, l'appelait “mon géant Lannister.”
___La chambre était noire, glacée, déserte lorsqu'il émergea.
 A Clash of Kings, Tyrion XV

___Ce qui est intéressant, c'est que l'amour et le pouvoir deviennent liés dans l'esprit de Tyrion. Vers le milieu de son mandat de Main, il réalise qu'il aime vraiment le pouvoir. Grâce au pouvoir, il pense pouvoir gagner la reconnaissance, le respect, et l'amour qu'il désire tant. Ici, il pense au pouvoir et à son amour pour Shae, pratiquement indissociables :

___→ Ses yeux étaient ouverts. Elle sourit en lui caressant le crâne et chuchota : “Je viens juste de faire le plus délicieux des rêves, m'sire.”
___[...] “Ce n'était pas un rêve,” l'assura-t-il. C'est la réalité, tout, tout cela, songea-t-il, les guerres, les intrigues, le grand jeu sanglant, et moi tout au centre... moi, le nain, le monstre, l'objet de leurs rires et de leurs mépris, et j'ai tout dans ma main, maintenant, le pouvoir, la ville, la fille. Voilà pour quoi j'étais fait et, les dieux me pardonnent, j'aime ça....
___Et elle. Et elle.
 A Clash of Kings, Tyrion VII

____Le côté plus sombre du pragmatisme : menaces, brutalité, meurtres et Tywin

___La gestion adroite de son pouvoir permet à Tyrion d'accomplir des buts à la fois pratiques et moraux :

___→ “Mon admiration pour vous ne cesse de croître, messire, confessa l'eunuque. D'un seul coup de cuiller à pot, vous amadouez le petit Stark avec les os de son père et vous dépouillez votre sœur de ses protecteurs, vous donnez à ce frère noir les hommes qu'il cherche et vous débarrassez la cité de quelques ventres affamés, mais, ce faisant, vous semblez si bien vous jouer que nul n'ira prétendre que les tarasques et les snarks suffisent à faire trembler le nain. Oh, cette dextérité !” A Clash of Kings, Tyrion VI

___Tyrion accomplit également quelques actes de bonté pendant son mandat, notamment en sauvant Sansa Stark du traitement cruel de Joffrey :

___→ “Que signifie ?”
___La voix du Lutin claqua comme un fouet, et Sansa se retrouva libre, subitement. Elle s'affaissa sur ses genoux, les bras croisés sur la poitrine, et à bout de souffle. “Est-ce là votre conception de la chevalerie, ser Boros ?” demanda Tyrion Lannister d'un ton furibond. Son reître favori se tenait près de lui, ainsi que l'un de ses barbares, l'homme à l'œil brûlé. “Quelle espèce de chevalier rosse les filles sans défense ?”
 A Clash of Kings, Sansa III

___Il a un point faible pour les bâtards, les infirmes, les choses brisées, et les prostituées, l'une des raisons pour laquelle il punit Slynt et Deem :

___→ “Pas tout le monde qui le ferait. Quoiqu'il s'agissait rien que d'une pute et de sa portée.
___- Je veux bien le croire,” dit Tyrion, que 'rien qu'une pute' faisait songer à Shae, et à Tysha jadis. [...] Sans avoir jamais vu la victime, Tyrion lui prêtait les traits tout à la fois de Shae et de Tysha.
 A Clash of Kings, Tyrion II

___Mais à d'autres occasions, Tyrion peut aussi se montrer très indifférent aux souffrances des autres. En réponse au mauvais traitement de Lysa Arryn, il arme les Clans des Montagnes, pour qu'ils procèdent à des razzias plus efficaces dans le Val. Et bien sûr, ce sont le petit peuple et les paysans du Val qui vont en souffrir, pas Lysa Arryn.

___→ Tyrion allait se mettre en devoir d'exposer au seigneur son père comment il comptait transfigurer le Val d'Arryn en un désert fumant, l'occasion lui en fut ravie. A Game of Thrones, Tyrion VII

___→ Littlefinger lissa la fine pointe de barbichette. “Lysa a ses propres ennemis. Les clans des montagnes de la Lune. Leurs incursions dans le Val se multiplient. Jamais ils ne s'y sont risqués si nombreux..., ni si bien armés.
___Affligeant,” lâcha Tyrion Lannister, bien que ce fût son oeuvre.
 A Clash of Kings, Tyrion IV

___Tyrion a un côté rancunier quand il s'agit de vengeance. Quand il voit que son père a fait pendre Masha Heddle, pour le crime de posséder l'auberge où Tyrion a été kidnappé, voilà sa réaction :

___→ Il mit pied à terre et leva les yeux vers les reliefs de la dépouille. Les oiseaux lui avaient becqueté les orbites, le gras des joues, les lèvres, dénudant les dents écarlates en un hideux sourire. “Le gîte, le couvert et un pichet de vin, voilà tout ce que je désirais...,” lui rappela-t-il avec un sourire de reproche. A Game of Thrones, Tyrion VII

___Il est également l'un des premiers à trouver des excuses aux exécutions massives de paysans ordonnées par Tywin pendant la guerre. L'empathie de Tyrion pour les bâtards, infirmes et choses brisées, ne s'étend apparemment pas aux gens du bas peuple :

___→ “C'est du vilain, dans le Conflans, Tyrion. Autour de l' Œildieu et le long de la route royale en particulier. Les seigneurs riverains brûlent leurs propres récoltes dans l'espoir de nous affamer, et les fourrageurs de ton père incendient chaque village dont ils s'emparent et en exterminent la population.”
___La guerre ordinaire, quoi. On égorgeait les petites gens, et les gens bien nés, on les retenait captifs pour les rançonner. Rappelle-moi de rendre grâces aux dieux qui m'ont fait naître Lannister.
 A Clash of Kings, Tyrion V

___Quel niveau de brutalité est nécessaire pour gagner une guerre et rester au pouvoir ? Quel nombre de vies humaines perdues est jugé acceptable ? A ce stade, bien sûr, Tyrion n'a pas son mot à dire sur ce que Tywin choisit de faire dans le Conflant. Mais on découvre, alors que son arc avance, que Tyrion accepte de plus en plus les idées que se fait Tywin de la brutalité et du pouvoir. C'est très révélateur que, bien qu'il soit choqué par les Noces Pourpres, il ne trouve pas d'argument contre :

___→ “Explique moi donc en quoi il est plus noble de tuer dix mille hommes au combat qu'une douzaine à table.” Constatant que Tyrion demeurait court, il reprit [...]. A Storm of Swords, Tyrion VI

___La vision de Tyrion sur la brutalité et le pouvoir évolue au fil de ses interactions avec Cersei dans le deuxième tome. Très tôt, il est clair que Tyrion pense que pour garder le pouvoir quand on fait face à de dangereux ennemis, il doit les battre à leur propre jeu. Et au début, ses piques contre sa sœur sont une partie de plaisir, semblent fonctionner à merveille, sans réelles retombées négatives :

___→ Les réflexions de Tyrion dérivèrent vers ses prédécesseurs et leur incapacité flagrante à mettre en échec les finasseries de sa sœur. Comment diable l'auraient-ils pu ? Des hommes de cet acabit... trop probes pour vivre, trop nobles pour chier, des idiots pareils, Cersei en dévore à son déjeuner, chaque matin. La seule manière de la déconfire est d'entrer dans son jeu à elle, et c'est précisément à quoi ces bons Lords Stark et Arryn n'auraient point consenti. Rien d'étonnant qu'ils fussent morts tous deux, tandis que Tyrion Lannister ne s'était jamais senti si vivant. Ses pattes torses pouvaient bien le rendre burlesque à un bal des moissons, ce rigodon-là n'avait pas d'arcanes pour lui. A Clash of Kings, Tyrion VII

___Mais le jeu des trônes est tellement dangereux que Tyrion est bientôt contraint de se demander jusqu'où il est prêt à aller pour protéger une personne qu'il aime :

___→ “Je tiens ta petite pute.”
___[...] Il se sentit les tripes grouiller d'anguilles. Comment avait-elle déniché Shae ?
 A Clash of Kings, Tyrion XII

___Quand il est révélé que la captive de Cersei est en fait Alayaya, Tyrion a une réaction intéressante :

___→ Tyrion lui aurait volontiers ri au nez. Avec quelles délices, hélas, mais quelles délices... indicibles ! A ce détail près que, terminée, la partie, dès lors. Tu viens de la perdre, Cersei, et tes Potaunoir sont encore plus nuls que ne le clamait Bronn. Il n'aurait qu'un mot à dire.
___Il se contenta de scruter le visage de la petite avant de lâcher : “Tu me jures de la libérer après la bataille ?”
 A Clash of Kings, Tyrion XII

___Tyrion veut lui dire qu'elle a la mauvaise prostituée, mais cela mettrait fin à la partie : Tyrion choisit donc de laisser Alayaya sous la garde de Cersei pour que Shae reste saine et sauve. Il se sent coupable, réalisant qu'Alayaya est celle en danger à présent :

___→ Alayaya se pencha sur lui pour le baiser au front. Sa lèvre crevassée y laissa une marque rouge. Un baiser sanglant, songea-t-il, je n'en méritais pas tant. Sans moi, jamais on ne l'aurait battue. A Clash of Kings, Tyrion XII

___Alors pour assurer la sécurité d'Alayaya, Tyrion invoque une part très sombre de lui-même, qu'il associe avec son père :

___→ “Garde-là, dans ce cas, mais garde-là en sécurité. Si ces bestiaux-là comptent impunément jouir d'elle..., eh bien, chère sœur, permets-moi de te signaler que toute balance oscille en deux sens.” Il parlait d'un ton calme et monocorde, sans s'apercevoir qu'il avait cherché à prendre celui de Père et parfaitement réussi. “Quoiqu'elle subisse, Tommen le subira aussi, sévices et viols inclus.” Puisqu'elle se fait de moi une image si monstrueuse, autant que je joue son jeu.
___Elle tomba de haut. “Tu n'aurais pas le front... !”
___Il se contraignit à sourire d'un sourire lent et glacé. Vert et noir, ses yeux se firent goguenards. “Le front ? Je m'y emploierai personnellement.”
___[...] “Je ne t'ai jamais aimée, Cersei, mais, comme tu n'en étais pas moins ma propre sœur, jamais je ne t'ai fait de mal. Tu viens de clore ce chapitre. Le ma que tu as fait ce soir, je te le revaudrai. J'ignore encore comment, mais laisse-moi le temps. Un jour viendra où, te croyant heureuse et en sûreté, tu sentiras brusquement ta joie prendre un goût de cendre, et tu sauras alors que la dette est payée.”
 A Clash of Kings, Tyrion XII

___Plus tard, il dit à Tywin qu'il suivait son exemple :

___→ “Pour préserver la vertu d'une pute, tu as menacé ta propre maison, ta propre parenté ? C'est bien de cela qu'il s'agit ?
___C'est vous qui m'avez enseigné qu'une bonne menace est souvent plus éloquente qu'un coup de poing.”
 A Storm of Swords, Tyrion I

___Tyrion en vient à croire que la seule façon de préserver ses êtres chers est de se conduire comme Tywin, par le biais de menaces impitoyables et brutales. Mais que se passe-t-il si ses menaces sont ignorées ? Martin oblige Tyrion à se poser cette question à deux reprises dans ASOS. D'abord, il découvre qu'Alayaya a été maltraitée et humiliée, et sa réaction est encore une fois intéressante :

___→ “J'ai promis à ma sœur de traiter Tommen comme elle traiterait Alayaya,” se souvint-il à haute voix. “Est-ce que je peux, moi, fouetter un gosse de huit ans ?” Mais si je ne le fais pas, Cersei triomphe.
___“Vous n'avez pas Tommen, lui assena Bronn. En apprenant la mort de Main-de-fer, la reine a envoyé ses Potaunoir à Rosby le récupérer, et y a personne qu'ait eu les couilles de leur dire non.”
___Un coup de plus ; mais, il devait en convenir, doublé d'un soulagement. Tommen, il l'aimait beaucoup.
 A Storm of Swords, Tyrion I

___Tyrion craint de perdre en crédibilité s'il n'agit pas sur ses menaces, ce qui montre comment le simple fait de proférer de telles menaces définit celui qui les fait. Dans ce cas, il n'a pas les moyens de les porter à exécution, et beaucoup de lecteurs doutent qu'il serait allé jusqu'au bout. Mais très vite, Martin ré-introduit un personnage qui a ignoré les menaces de Tyrion, le chanteur Symon Langue d'Argent.

___→ Lors de leur dernière rencontre, il avait suffi d'un mot sec pour mettre le chanteur en nage ; où diable puisait-il l'espèce d'arrogance dont il faisait preuve à présent ? Dans ce pichet, très probablement. Si Tyrion ne l'avait lui-même suscitée par son propre comportement. Comme je l'ai menacé, mais sans jamais donner à mes menaces la moindre apparence d'exécution, voilà qu'il me croit dépourvu de dents A Storm of Swords, Tyrion IV

___Après que Tyrion n'ait rien fait des menaces qu'il a proférées à l'encontre de Symon dans ACOK, ce dernier tente de le faire chanter, avec la vie de Shae dans la balance. Ainsi, Tyrion en conclut que les menaces ne suffisent pas, que le meurtre est la seule façon de garder Shae en sécurité, et il ordonne la mort de Symon. Plus tard dans le chapitre, il regrette de ne pas avoir fait tuer ses anciens ennemis, Pycelle (qui a regagné sa place au Conseil Restreint) et Slynt (en bonne voie pour devenir le nouveau Lord Commandant de la Garde de Nuit) ; encore une fois, il pense à son père :

___→ “Bien, messire.” Une fois de plus, Pycelle hocha ses fanons fripés. “Je rédigerai conformément aux ordres de la Main. Avec un immense plaisir.”
___C'est la tête que j'aurais dû lui couper, pas la barbe, se dit Tyrion. Et c'est une bonne trempette qu'il fallait à Janos Slynt comme à son cher pote Allar Deem. Du moins n'avait-il pas commis la même gaffe inepte en ce qui concernait Symon Langue-d'argent. Voyez, pour le coup, Père ? eut-il envie de gueuler, voyez à quelle vitesse j'apprends mes leçons ?
 A Storm of Swords, Tyrion IV

___Parce qu'il a le sentiment que c'est le seul moyen de protéger ceux qui lui sont chers, Tyrion s'engage plus loin sur une voie de représailles violentes envers ses ennemis. C'est à dire la voie de son père : ne laisser aucuns des Reyne de Castamere en vie. Et pour Tyrion, c'est une leçon sur la façon de diriger.

____Rejet, trahison et vengeance

___Tout les éléments cités précédemment (le pragmatisme de Tyrion, son conflit interne avec la moralité du pouvoir, son désir d'être aimé, sa soif de vengeance, la voie de son père) se réunissent dans ASOS. Martin fait de l'arc de Tyrion une suite sans fin de rejets, d'humiliations et de trahisons commis par les personnes qui étaient chères à Tyrion, ou dont il cherchait l'approbation. Le but de cet arc est de mettre Tyrion dans un état mental où il ne souhaitera plus qu'une vengeance impitoyable pour Westeros. Cet arc est résumé dans ce seul incident :

___→ Des nuées de gosses escaladaient les vertigineux échafauds de bois et, juchés tels des singes accoutrés de bure sur le bras des catapultes, se hélaient de l'une à l'autre.
___Rappelle-moi de dire à Ser Addam de poster ici quelques manteaux d'or, lança-t-il à Bronn comme leurs chevaux se faufilaient entre deux d'entre elles. Un de ces petits fous est capable de tomber et de se briser l'échine.” Des clameurs retentirent au-dessus de leurs têtes, et une motte de fumier s'écrasa sur le sol juste devant eux. La jument de Tyrion se cabra et manqua le désarçonner. “Réflexion faite, dit-il après avoir repris sa monture en main, laissons ces marmots vérolés s'écrabouiller sur le pavé comme melons blets.
 A Storm of Swords, Tyrion IV

___Après la Bataille de la Néra, Tyrion voulait être reconnu pour ses compétences, recevoir l'approbation du peuple de Port-Réal et de Tywin. Il n'obtient ni l'un, ni l'autre :

___→ “Astucieux, votre idée de chaîne,” avait lancé Mace Tyrell d'un ton jovial, aussitôt approuvé par lord Redwyne qui, branlant du chef, s'extasia, tout aussi flatteur : “Tout à fait, tout à fait, messire de Hautjardin vient d'exprimer là notre pensée à tous.”
___Dites-le donc au bon peuple de cette ville, songea-t-il avec amertume, dites-le donc à ces putains de chanteurs qui nous tympanisent avec le spectre de Renly.
 A Storm of Swords, Tyrion III

___→ “Et tu désires ta récompense à toi, c'est cela ? Très bien. Que réclames-tu de moi ? Terres, château, charge ?
___- Un foutu rien de gratitude ferait un plaisant début. [...] Ce que je veux, demandez-vous ? Je vais vous dire ce que je veux. Je veux ce qui m'appartient de droit. Je veux Castral Roc.”
___[...] D'un vert pâle pailleté d'or, les prunelles de lord Tywin étaient aussi lumineuses qu'impitoyables. “Castral Roc,” énonça-t-il d'un ton mort, monocorde et froid. Avant d'ajouter : “Jamais.
___Le mot demeura en suspens entre eux, énorme, acéré, vénéneux.
 A Storm of Swords, Tyrion I

___Puisqu'il n'a aucune reconnaissance, il retourne à son autre désir : celui d'être aimé. On lui arrange un mariage avec Sansa, et il commence à rêver qu'elle puisse un jour l'aimer. Mais ses insécurités reviennent le hanter :

___→ Je la veux, se rendit-il compte. Je veux Winterfell, oui, mais je la veux aussi, qu'elle soit enfant, femme ou va savoir quoi. Je veux la réconforter. Je veux entendre son rire. Je veux qu'elle vienne à moi de son plein gré, qu'elle m'apporte ses joies et ses peines et son désir. Sa bouche se tordit en un sourire amer. Oui, et je veux être aussi grand que Jaime et aussi fort que ser Gregor la Montagne en plus, ce qui m'avance bigrement ! A Storm of Swords, Tyrion IV

___Mais Sansa - une ado de 13 ans mariée de force à un homme qui a le triple de son âge par ceux qui la retiennent prisonnière et ont massacré sa famille, rappelons-le - répond avec le même mot utilisé par Tywin :

___→ Il lui fallut ramasser tout son courage pour proférer, les yeux plantés dans ces terribles yeux vairons : “Et si je ne vous le donne jamais, messire ?”
___Une saccade déforma sa bouche comme si Sansa venait de le gifler. “Jamais ?
 A Storm of Swords, Sansa III

___Et après l'empoisonnement de Joffrey, l'emprisonnement de Tyrion et la disparition de Sansa, Tyrion décide qu'elle l'a trahi et que personne ne l'aimera jamais :

___→ Sansa devait l'avoir empoisonné. Joff lui a quasiment fourré sa coupe sur les genoux, et il ne l'avait que trop abreuvée de griefs. Quelques doutes qu'il eût pu nourrir à cet égard, ceux-ci s'étaient évanouis avec la disparition de sa femme. Une seule chair, un seul cœur et une seule âme. Sa bouche se tordit. Elle n'a pas perdu de temps pour prouver dans quelle estime elle tenait ces serments, n'est-ce pas ? Hé bien, nabot, tu t'attendais à quoi ? A Storm of Swords, Tyrion IX

___Puis au procès, on dirait que Port-Réal tout entier se retourne contre Tyrion, avec une suite de mensonges et d'accusations l'impliquant dans un crime qu'il n'a pas commis. La dernière trahison vient de Shae, qui ne fait pas que mentir pour aggraver son cas, mais ajoute en plus une dose d'humiliation, qui fait de Tyrion la risée de la salle :

___→ “Il me forçait à lui dire comme il était grand. Mon géant, fallait que j'y donne, mon géant Lannister.”
___Oswald Potaunoir fut le premier à s'esclaffer. Boros et Meryn se joignirent à lui, puis Cersei, Ser Loras, et plus de seigneurs et de dames que Tyrion n'en pouvait compter. Des bourrasques de rires à faire tonner la charpente et trépider le trône de fer. “Mais c'est vrai !” protesta Shae. “Mon géant Lannister.” Les rires redoublèrent d'intensité. La gaieté déformait les bouches, les bedaines soubresautaient. Certains s'étouffaient si fort qu'ils en avaient la morve au nez.
 A Storm of Swords, Tyrion X

___Le rejet de Shae est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Bouillonnant de rage et de rancune, Tyrion en conclut que le monde entier le méprise parce qu'il est un nain :

___→ Je vous ai tous sauvés, songea Tyrion. J'ai sauvé cette ignoble ville et votre vie de merde à tous. Ils étaient des centaines, là, dans la salle du Trône, à se tordre de rire, tous autant qu'ils étaient, tous hormis son père. A en juger par les dehors, du moins. Même la Vipère Rouge qui pouffait, tandis que Mace Tyrell s'en pétait les tripes, mais Lord Tywin Lannister, qui siégeait entre eux, paraissait de pierre, les mains jointes en pointe sous son menton.
___Tyrion se jeta en avant. “MESSIRES !” hurla-t-il.
___[...] “La mort de Joffrey, j'en suis innocent. Je suis coupable d'un crime bien plus monstrueux.” Il avança d'un pas du côté de son père. “Je suis né. J'ai vécu. Je suis coupable d'être nain, je le confesse. Et, malgré les innombrables fois où mon père a eu la bonté de me pardonner, j'ai néanmoins persisté dans mon ignominie.
___- Folies que tout cela, Tyrion, déclara lord Tywin. Tenez vous-en au sujet présent. Votre procès ne porte pas sur votre état de nain.
___C'est en quoi vous vous abusez, messire. On me fait un procès sur mon état de nain depuis que j'existe.
___- N'avez-vous rien à dire pour votre défense ?
___- Rien que ceci : je n'ai pas commis ce crime. Mais, à présent, je souhaiterais l'avoir commis.” Il se tourna pour affronter la salle, cet océan de visages blêmes. “Je souhaiterais avoir eu suffisamment de poison pour vous tous. Vous me forcez à me repentir de n'être pas le monstre que seriez aises de voir en moi, mais le fait est là, j'ai beau être innocent, ce n'est pas ici qu'on me rendra justice.”
 A Storm of Swords, Tyrion X

___Et enfin, après que Tyrion perde son jugement par combat, Martin décide de retourner le couteau dans la plaie. Encore une fois, il fait luire à Tyrion l'espoir que quelqu'un l'aime quand Jaime vient le délivrer. Mais ensuite, l'auteur lui retire cet amour en révélant la complicité de Jaime dans le plus profond traumatisme de Tyrion :

___→ “Elle n'était pas une pute. Jamais je ne l'avais achetée pour toi. Je t'ai menti. Sur ordre de Père. Tysha était..., elle était ce qu'elle avait l'air d'être. Une fille de métayer, croisée par hasard sur la route.”
___Tyrion perçut l'infime sifflement caverneux qu'émettait sa propre respiration en se faufilant dans son nez dévasté. Jaime n'arrivait pas à le regarder en face. Tysha. Il essaya de se rappeler à quoi elle ressemblait. Une gamine, rien qu'une gamine, l'âge de Sansa, pas plus. “Ma femme, croassa-t-il. Elle m'avait épousé.”
 A Storm of Swords, Tyrion XI

___Pire que de découvrir que Tysha l'aimait vraiment, Tyrion se rend compte que cet amour est perdu à jamais. L'amour, le bonheur et le respect lui ayant été refusé pour toujours, Tyrion n'a plus que la vengeance.

___→ Il le frappa. Une simple gifle, d'un revers de main, mais il y mit toute sa force, toute sa rage, toute sa peine. Jaime se retrouva à croupetons puis, déséquilibré par la violence du coup, s'étala sur le dos. “Je... je suppose que j'ai mérité ça.
___- Oh, tu as mérité beaucoup mieux que ça, Jaime. Toi et ma doulce sœur et mon tendre père, oui, je serais fort en peine encore de te spécifier ce que vous avez mérité. Mais vous l'aurez, votre paquet, ça, je te le jure. Un Lannister paie toujours ses dettes.
 A Storm of Swords, Tyrion XI

___Et il s'emploie ensuite non seulement à obtenir sa vengeance (tuer Shae pour sa trahison puis Tywin), mais à réclamer l'héritage de son père en le faisant.

___→ “Tu... tu n'es pas... pas mon fils...
___- Voilà en quoi vous vous trompez, Père. Je crois bien, moi, que je suis votre miniature.
 A Storm of Swords, Tyrion XI

___Tyrion débute sa féodalité à Port-Réal en décidant de faire justice. Il la termine en décidant qu'il est Tywin.

____Conclusion : la vérité sur Tywin

___Puisque l'acceptation de l'héritage de Tywin semble cruciale pour le futur de Tyrion, il est important de clarifier un point sur qui est réellement Tywin Lannister. Tywin dit au monde entier qu'il n'a recours à des méthodes violentes que par pragmatisme, mais il y a des raisons qui font douter cette raison. Par exemple, il dit que le meurtre des enfants de Rhaegar - une fillette de trois ans et un bébé... - était nécessaire :

___→ “Loin de moi l'idée de dénigrer votre astuce, Père, mais, à votre place, j'aurais préféré laisser Robert Baratheon se rougir les mains de sang lui-même.”
___Lord Tywin le dévisagea comme on dévisage quelqu'un qui aurait perdu l'esprit. “Tu mérites ta livrée bariolée, dans ce cas. Nous nous étions tardivement ralliés à la cause de Robert. Il était indispensable de prouver notre loyauté. Après que j'eu déposé ces cadavres au pied du trône, plus personne ne put douter que nous n'eussions abandonné pour jamais la maison Targaryen.”
 A Storm of Swords, Tyrion VI

___Et il prétend que le viol et le meurtre d'Elia Martell est un excès de zèle regrettable dont il n'est aucunement responsable :

___→ Il haussa les épaules. “Je te l'accorde, l'exécution pécha par excès de brutalité. Elia aurait dû s'en tirer sans une seule égratignure. Par elle-même, elle n'était rien. Ce fut folie pure que de la tuer.
___- Pourquoi la Montagne l'a-t-il fait, alors ?
___- Parce que j'avais omis de lui dire de l'épargner. Je doute même l'avoir seulement mentionnée. J'avais des soucis plus pressants. L'avant-garde de Ned Stark dévalait du Trident vers le sud, et je craignais que nous n'en venions à la lutte ouverte. Et puis il était bien dans la nature d'Aerys d'assassiner Jaime, sans autre motif que le dépit. C'était ça, ma pire crainte. Ca, et les agissements éventuels de Jaime lui-même.” Il serra l'un des poings. “Et je n'avais pas encore compris quel genre d'être je tenais en Gregor Clegane, je voyais seulement qu'il était gigantesque et un combattant formidable. Le viol..., j'ose espérer que, cet ordre-là, tu répugneras toi-même à m'accuser de l'avoir donné. Ser Amory se montra presque aussi bestial avec Rhaenys. [...]” Sa bouche se tordit de dégoût. “Il avait la manie du sang.”
___Mais pas vous, Père. Tywin Lannister n'a pas la manie du sang.
 A Storm of Swords, Tyrion VI

___Voilà l'image que Tywin cherche à projeter : celle d'un homme dur comme la pierre, pragmatique, impitoyable, et qui n'est pas régi par de bas instincts comme la soif de sang ou les plaisirs de la chair. Mais vers la fin d'ASOS, Martin décide de démonter le mythe de Tywin. En révélant que Shae est dans son lit, on apprend que Tywin est absolument régi par la luxure. (Un risque hypocrite et ridicule que prend Tywin en couchant avec Shae, qui est maintenant connue pour avoir couché avec le gnome. Si le bruit se répandait, la réputation de Tywin serait anéantie.) Son image publique d'auto-discipline était, comme le montre de façon symbolique Martin à deux reprises, de la merde :

___→ “Toutefois, l'atmosphère empestée de la garde-robe administrait la preuve irréfutable que la blague inlassablement ressassée sur le sire de Castral Roc n'était qu'une calomnie de plus.
___Lord Tywin Lannister, tout compte fait, ne chiait point d'or.
 A Storm of Swords, Tyrion XI

___→ L'effet produit par le sire de Castral Roc en cet appareil était si sensationnel que sa monture estomaqua l'assistance en égrenant un chapelet de crottin juste au bas du trône. A Clash of Kings, Sansa VIII

___Oberyn sous-entends également que les allégations de Tywin de ne pas être coupable du destin tragique d'Elia étaient aussi de la merde :

___→ “Je ne reviens pas sur l'accueil que nous réserva Castral Roc. Ce que je ne vous ai point conté, c'est qu'après avoir patienté aussi longtemps que la décence l'imposait ma mère amena votre père aux pourparlers qui nous concernaient. Des années après, sur son lit de mort, elle m'apprit que lord Tywin l'avait brutalement rebutée. Sa fille, il la destinait au prince Rhaegar, l'avisa-t-il. Et lorsqu'elle parla de Jaime, c'est vous qu'il proposa de lui substituer comme époux d'Elia.
___- Proposition qu'elle prit pour un outrage.
___- Qui l'était. Même vous pouvez le voir, assurément.
___- Oh, assurément.” Tout remonte et n'arrête de remonter, songea-t-il, à nos pères et mères et aux leurs, avant. Nous sommes des fantoches dansant au bout des ficelles de ceux qui nous ont précédés, et un jour viendra où nos propres enfants prendront à leur tour nos ficelles et danseront à notre place au bout. “Bref, le prince Rhaegar épousa non pas Cersei Lannister, de Castral Roc, mais Elia de Dorne. Ainsi semblerait-il que votre mère ait remporté cette joute-là.
___- Tel fut en effet son sentiment, convint le prince Oberyn, mais votre père n'est pas homme à oublier de pareils affronts. Il se fit fort, jadis, de l'apprendre à lord et lady Tarbeck, ainsi qu'aux Reyne de Castamere. Et, à Port-Réal, de l'apprendre à ma sœur.
 A Storm of Swords, Tyrion X

___Oberyn pense que Tywin a délibérément ordonné le meurtre et le viol d'Elia pour se venger du fait que ça ait été elle, et non Cersei, que Rhaegar ait épousé. La position dramatique de cette révélation, à la fin d'ASOS, porte à croire qu'Oberyn avait raison, et que Tywin mentait quand il a dit à Tyrion qu'il n'avait aucune responsabilité dans le viol et le meurtre d'Elia. Tywin Lannister avait bel et bien la manie du sang, et un désir de vengeance surpassant son pragmatisme, conduisant à des actes de cruauté et de brutalité qui n'étaient pas nécessaires. Alors que Tyrion cherche à obtenir vengeance dans le tome suivant, il devra se demander si l'héritage de Tywin est vraiment un héritage qu'il souhaite embrasser.

Traduction : myself // Source : meereeneseblot.wordpress