mercredi 10 novembre 2021

Le retour des Autres



→→“Où es-tu, Will ? appela ser Waymar. Tu vois quelque chose ?” L'épée au poing, il opérait, d'un air subitement circonspect, une lente ronde. A l'instar de Will, il les avait apparemment flairés. Flairés, car ils demeuraient invisibles. “Réponds-moi ! Pourquoi fait-il si froid ?”
→→Émergeant de la lisière ténébreuse, parut une ombre, juste en face de Royce. Une ombre de très haute taille, aussi funèbre et hâve qu'un vieux squelette, et dont la chair exsangue avait une pâleur laiteuse. A chacun de ses gestes, son armure semblait changer de couleur : tantôt d'un blanc de neige fraiche, tantôt d'un noir d'encre, et pourtant toujours mouchetée du même vert-de-gris sombre que la forêt. Au moindre pas, cela moirait comme moire un torrent la clarté lunaire.
→→Au terme d'une profonde inspiration dont Will perçut distinctement le sifflement, le petit seigneur parvint à articuler : “Pas un pas de plus,” d'une voix fêlée de gamin, tout en rejetant derrière ses épaules l'encombrant manteau de zibeline, puis, à deux mains, empoigna sa rapière. Le vent était tombé. Il faisait effroyablement froid.
→→Déjà surgissaient des ténèbres, en silence, trois... quatre..., cinq... jumeaux du premier. Et si ser Waymar fut sensible au froid que leur présence redoublait, du moins ne les vit-il pas, ne les entendit-il pas. Will devait le mettre en garde. Aurait dû. Le faire l'eût condamné lui-même. Terrorisé, il s'écrasa contre le tronc et ne souffla mot.
→→A force de voir les épées se croiser, de subir chaque fois leur bizarre couinement d'angoisse, Will en vint à ne plus éprouver qu'un désir, se boucher les oreilles. Epuisé par tous ses efforts, ser Waymar était à bout de souffle, maintenant. Son haleine fumait sous la lune et, tandis que son épée blanchissait de givre, celle de l'Autre, plus que jamais, dansait dans son halo bleuté.
→→Survint l'instant trop prévisible où, à la faveur d'une parade un rien décalée, l'épée pâle perça la cotte de fer en dessous du bras, arrachant à Royce un cri de douleur. Avec des bouffées de vapeur au contact du froid, le sang jaillit d'entre les mailles, et chacune de ses gouttes, en touchant le sol, maculait la neige d'un rouge ardent. Du plat de la main, ser Waymar s'épongea le flanc, et son gant de taupe s'en détacha trempé d'écarlate.
→→“Pour Robert !” rugit-il avant de s'élancer, hargneux, et, les deux poings crispés sur son épée couverte de givre, de tailler vivement de droite et de gauche, portant tout le poids de son corps sur chacun de ses coups, que l'Autre esquivait assez mollement.
→→Or, au premier contact, et avec un cri strident que répercutèrent, d'écho en écho, les ténèbres de la nuit et de la forêt, l'acier se rompit, la longue épée vola en mille menus morceaux qui, telle une pluie d'aiguilles, s'éparpillèrent, pendant que Royce, hurlant de douleur, tombait à genoux, les poings sur les yeux. Le sang giclait entre ses doigts.
→→Comme un seul homme et comme à un signal donné, les spectateurs jusque-là passifs s'avancèrent. Dans un silence abominable, les épées se levèrent et retombèrent toutes ensemble sur une froide boucherie. Les lames spectrales tranchaient dans la cotte de maille comme elles eussent dans la soie. Will ferma les yeux. D'en bas lui parvenaient, aussi acérés que des poinçons de glace, leurs rires et leurs voix...
→→Un bras tendu et son moelleux manteau de zibeline réduit en charpie, Royce gisait face contre terre dans la neige. A le voir couché, comme ça, mort, on se rendait mieux compte de sa jeunesse. Un gosse.
→→A quelques pas de là, Will découvrit les vestiges de la longue épée, des esquilles à peine de la pointe, et aussi tordus que ceux d'un arbre foudroyé. La brusque inquiétude que Gared, peut-être, n'aurait pas attendue le décida à se hâter, et il se releva.
→→Ser Waymar Royce lui faisait face. Ses beaux atours n'étaient plus loques, et plus que décombres son joli visage. Fiché dans la pupille de son œil gauche, un éclat d'acier l'éborgnait.
→→L'œil droit, grand ouvert, voyait. Car la pupille en flamboyait d'une flamme bleue.
→→Or comme, mains soudain molles et paupières closes sur une prière, Will laissait tomber les morceaux d'épée, de longs doigts élégants lui frôlèrent la joue puis s'attachèrent à sa gorge. Ils diffusaient un froid polaire.
 A Game of Thrones, Prologue

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