lundi 11 mai 2020

Les guerres de Jon Snow : un cœur noble et un plus grand devoir (Analyse de A Dance with Dragons & Théories pour The Winds of Winter) [1/6]

 

→→On attaque le deuxième arc majeur d'A Dance with Dragons : le Mur, mais plus particulièrement, celui de Jon Snow ! Tout juste nommé Lord Commandant, notre bâtard préféré doit jongler entre deux rois, un psychopathe, une sorcière, des réfugiés, des traîtres, sans compter le dilemme moral de rompre ou pas ses vœux pour sauver ceux qui ne peuvent pas se sauver eux-mêmes... bref, des chapitres remplis de problèmes à résoudre !

___Dans A Dance With Dragons, Jon Snow dédie une grande partie de ses chapitres - et de ses pensées - à deux tâches : faire la paix avec les sauvageons et préparer la Garde de Nuit à affronter les Autres. Et il semble réussir sur ces deux fronts. Vers la fin du livre, un chapitre décrit la façon dont, avec beaucoup de succès, il fait passer pacifiquement le mur à plus de trois mille sauvageons ; ce chapitre se termine avec la promesse d'une action imminente contre les Autres :

___→ Cotter Pyke avait apposé au-dessous sa marque furibonde.
___“Est-ce grave, messire ? demanda Clydas.
___- Assez, oui.” Créatures mortes dans les bois. Créatures mortes dans l'eau. Six vaisseaux rescapés, sur les onze qui avaient pris la mer. Jon Snow enroula le parchemin, la mine sombre. La nuit tombe, conclut-il, et voici que ma guerre commence.
 A Dance With Dragons, Jon XII

___Mais ce n'est pas le dernier chapitre de Jon dans ce livre.

___→ Bâtard était le seul mot inscrit à l'extérieur du rouleau. Ni Lord Snow, ni Jon Snow ou Lord Commandant. Simplement Bâtard. Et la lettre était scellée d'une coulée de cire rose et dure. ___“Vous avez eu raison de venir tout de suite,” jugea Jon. Vous avez eu raison d'avoir peur. A Dance With Dragons, Jon XIII

___La Lettre Rose est l'un des coups de théâtre les plus fous écrit par GRRM. La situation entière du Mur change à cause de cette lettre, qui continue à faire débat auprès des fans, se demandant si ce qu'elle raconte s'est bien produit, ou si c'est vraiment Ramsay qui l'a écrite. Nous n'en aurons aucune certitude jusqu'à la sortie de TWOW.

___Cependant, le fait que Martin ait choisi de terminer l'arc de Jon par la Lettre Rose et ses conséquences n'est pas anodin. En revenant sur l'intégralité des décisions et des actions de Jon dans ADWD, cette lettre se présente en effet comme une conséquence logique de ces dernières.

___Comme pour Daenerys Targaryen dans ce même livre, Martin place Jon face à une série de tests destinés à éprouver ses valeurs. Mais alors que le conflit moral vécu par Daenerys est au premier plan, celui vécu par Jon prend la forme de tentations plus subtiles. Dans une grande partie des scènes de Jon, on le voit traiter avec compétence et sagesse la question des sauvageons et des Autres. Ces actions impliquent peu de compromis moraux de sa parts, et ses antagonistes sont des vieillards intolérants et étroits d'esprit. Donc forcément, Jon a l'air pas trop mal en comparaison.

___Et pourtant, au milieu de tout ça, Martin soumets à plusieurs reprises Jon à la tentation de s'impliquer d'une façon ou d'une autre dans les affaires du Nord. Ces tentations sont toutes différentes, et bien que certaines touchent les désirs égoïstes de Jon, les plus cruelles profitent des pulsions morales de Jon : la justice, la compassion, et l'amour. Est-ce que Jon peut vraiment ne pas prendre part, si ça veut dire qu'un monstre sortira vainqueur d'une guerre contre un homme juste ? Si ça veut dire que sa sœur passera le restant des jours à être violée par le mal incarné ? Si ça veut dire qu'une autre jeune fille sera mariée de force à son vieil oncle et violée par ce dernier ? Peut-il vraiment ne pas prendre part si ça veut dire mettre en danger la Garde de Nuit et ce pour quoi ses hommes se battent ?

___Ces questions sont au cœur de l'arc que Martin a écrit pour Jon dans ADWD. Les réponses de Jon révèlent ce qui compte le plus pour lui, et quelle genre de personne, quel genre de dirigeant, il est en train de devenir. Car alors que se poursuit l'histoire, Jon cède de plus en plus à ces tentations de ne pas prendre part. Et à chaque fois, Jon décide assez rapidement de ce qu'il doit faire, avant de passer à un autre problème à régler : les conséquences de ses choix ne sont pas immédiatement évidentes.

___Mais ses choix comptent, et mènent inexorablement à sa chute.

____Le devoir de Jon : un plus grand conflit

___Pour commencer, revoyons les vœux de la Garde de Nuit. Son but ultime est de protéger le royaume de menaces extérieures. C'est la cause à laquelle Jon décide de prendre part dans le tout premier tome. Depuis ce tome, il a été établi clairement que rejoindre cette cause veut dire cesser de soucier de ce qu'il se passe dans le royaume :

___→ Les hommes qui fondèrent la Garde de Nuit savaient que seul leur courage protégerait le royaume, au nord, contre les ténèbres. Pleinement conscients que toute divergence interne de fidélité minerait la détermination commune, ils renonceraient solennellement au mariage et à la paternité.
___Ils n'en avaient pas moins des frères et des sœurs. Des mères ne leur en avaient pas moins donné le jour, des pères leurs noms. Ils n'en provenaient pas moins d'une centaine de royaumes querelleurs. Trop justement persuadés que, si les temps sont susceptibles de changer, l'homme est immuable, ils jurèrent solennellement que la Garde de Nuit ne prendrait jamais de parti dans les batailles intestines d'une patrie dont sa vocation l'appelait à préserver l'intégrité.
___Ils tinrent parole. Lorsqu'Aegon se proclama roi sur la dépouille d'Harren le Noir, le frère de celui-ci disposait, en tant que lord commandant du Mur, de dix mille épées. Il ne bougea pas. A l'époque où les Sept Couronnes n'étaient pas un vain mot, il ne se passait pas de génération sans que trois ou quatre d'entre elles ne s'entredéchirent. La Garde ne s'en mêla pas. Quand, franchissant le détroit, les Andals balayèrent les royaumes des Premiers Hommes, les fils des souverains déchus demeurèrent à leur poste, conformément à leur serment. Et il en fut toujours ainsi, de quelque côté que l'on sonde la nuit des temps.”
 A Game of Thrones, Jon VIII

___En analysant les vœux de la Garde, certains fans s'intéressent à la formulation de ces derniers, et de si Jon brise vraiment ou pas ses vœux. Mais les formalités ne comptent pas vraiment, éclipsées par le but des vœux et de la Garde elle-même. La Garde de Nuit ne doit prendre part à aucune des affaires du royaume, afin de se consacrer à des menaces plus grandes - la plus importante étant les Autres. La signification est claire : en prenant part aux problèmes du royaume, même pour d'apparentes bonnes raisons, la Garde met en péril sa position et sa mission.

___Voilà pourquoi cette tradition de ne pas prendre part existe. Pas pour que les frères jurés soient des idéaux moraux. Pas parce que la tradition est juste et qu'il faut la suivre. Mais parce qu'en rompant cette tradition, les conséquences pourraient coûter au rôle unique et irremplaçable de dernière défense du royaume que tient la Garde de Nuit. Si les rois et autres grands seigneurs du royaume se retrouvent courroucés par la Garde, ils peuvent faire en sorte qu'elle n'existe plus... et donc, qu'il n'y ait plus de défense.

____Un cœur noble

___Les trois premiers livres ont établi que Jon avait les instincts et la moralité d'un héro classique : il veut faire le bien, rendre la justice, aider les autres. Plus particulièrement, il a un désir très féroce et inné de protéger et défendre les innocents. Dans AGOT, il prend la défense de Samwell Tarly pendant son premier entraînement. Dans ACOK, il refuse d'exécuter Ygritte. Dans ADWD, il défend Satin Flowers et s'imagine le protecteur de Val. Et dans ASOS, il refuse d'exécuter les ordres des sauvageons en tuant un vieil homme sans défense :

___→ Quoi qu'ils exigent, tu ne devras pas barguigner. Marche avec eux, mange avec eux, bats-toi dans leurs rangs... Mais ce pauvre vieux n'avait opposé aucune résistance. Il avait joué de malchance, un point c'est tout. Qui il était, d'où il venait, où il comptait se rendre sur sa pitoyable haridelle éreintée..., bagatelles que tout cela.
___Il est vieux, s'encouragea-t-il. Dans les cinquante, et peut-être même soixante. Il a vécu plus longtemps que la plupart. Les Thenns le tueront de toute manière, et j'aurais beau dire ou faire, rien ne le sauvera. Grand-Griffe se faisait plus pesante que plomb, trop pesante pour qu'il la soulève. L'homme persistait à darder sur lui des yeux aussi vastes et noirs qu'un puits. Je vais tomber dans ces yeux-là et m'y noyer. Ceux du Magnar ne le lâchaient pas davantage, avec une défiance quasi palpable. Cet homme est un homme mort. Qu'importe si c'est de ma propre main qu'il périt ? Un coup, un seul, et l'affaire serait réglée, vite et proprement. Grand-Griffe était en acier valyrien. Comme Glace. Jon se ressouvint d'une autre exécution ; le déserteur agenouillé, sa tête roulant, la neige empourprée..., l'épée de Père, les propos de Père...
 A Storm of Swords, Jon V

___Le refus de Jon de tuer ce vieillard rappelle un autre passage :

___→ “Que pèse la vie d'un petit bâtard auprès de celle d'un royaume ?
___- Tout,” fit doucement Davos.
 A Storm of Swords, Davos V

___Cependant, la situation de Jon n'est pas tout à fait identique à Melisandre et Stannis projetant de brûler vif un jeune garçon innocent à cause d'une prophétie ambiguë dans le but de réveiller des dragons de pierre pour conquérir un continent. Jon accompagnait un groupe de sauvageons se dirigeant vers Chateaunoir pour l'attaquer. Il savait qu'il était le seul à pouvoir avertir ses frères jurés de l'attaque imminente ; il savait que s'il refusait de tuer cet homme, les sauvageons le tueraient de toute façon, en plus de tuer Jon pour faire bonne mesure. Et il savait que Qhorin lui avait ordonné de faire tout ce qu'on exigeait de lui. Pour faire simple, Jon savait que sa miséricorde aurait des conséquences désastreuses... mais en pensant à Ned, il a refusé. Il ne pouvait pas franchir cette ligne.

___La décision de Jon semble inspirante et morale... mais l'est-elle vraiment ? C'est évidemment horrible qu'on vous ordonne de faire une chose pareille. Mais si on s'arrête pour prendre en compte les conséquences, la décision de Jon semble déraisonnable, et entraînera sans doute beaucoup d'autres morts : le vieil homme meurt quand même, alors la seule victoire Jon est d'avoir préservé son intégrité morale. Martin place ensuite un deus ex machina pour sortir Jon de cette panade, en faisant surgir Eté de nulle part, lui sauvant la vie et lui permettant de partir avertir la Garde. En général, Martin fait payer à ses personnages leurs choix, mais cette fois, il protège Jon des conséquences... cette fois seulement.

____Les premières tentations

___Jon est dévoué à la Garde et son plus grand dessein depuis le premier livre, alors qu'il fait face à des tentations devant lesquelles le place Martin. Le dilemme moral de Jon concernant son devoir envers la Garde est assez simple, se résumant sous la forme de 'rester ou partir.' Par trois fois, il a été tenté de quitter la Garde de Nuit. La première fois, il est tenté par l'arrestation et l'exécution de Ned, et la guerre de Robb... mais après une brève évasion, ses amis le rattrapent et le convainquent de revenir. La deuxième fois, il est tenté par son amour pour Ygritte... mais il abandonne les sauvageons, pour aider ses frères à se battre contre eux. La troisième fois, il est tenté par Stannis, qui lui offre de le légitimer et de le faire sire de Winterfell... mais il refuse, choisissant encore une fois la Garde.

___Si on regarde ces trois cas, Martin présente à chaque fois la loyauté envers la Garde comme la bonne décision morale : arrêter les Autres est plus important que la guerre de Robb ; les sauvageons allaient attaquer la Garde de Nuit ; et en acceptant l'offre de Stannis, Jon n'aurait pas pu aider sa famille. Une soif de vengeance sans aucun moyen de l'accomplir ; un amour initié sur de fausses intentions et voué dès le départ à la tragédie ; et une envie égoïste de reconnaissance... rien de moral ne justifiait d'abandonner le combat pour le salut de l'humanité pour l'un de ces désirs. Ainsi, Jon est élu Lord Commandant, le bien triomphe sur le mal, la loyauté sur l'égoïsme, et les lecteurs sont contents. Pour le moment.

____Comment le cœur noble de Jon créé un conflit avec son devoir

___Mais dans ADWD, Martin met Jon face à de nouvelles tentations. Elles sont différentes des précédentes, pour deux raisons : (1) ce n'est plus partir ou rester, mais comment Jon devrait se servir de son pouvoir, et (2) plutôt que de devoir choisir entre la Garde et ses désirs égoïstes, il doit choisir son devoir ou ses désirs nobles.

___Avant de nous intéresser à ces nouvelles tentations, revoyons une scène du deuxième tome. Tout le monde connaît le fameux discours de Mestre Aemon : l'amour est la mort du devoir. Mais il existe une autre citation intéressante, qui explique qui est Jon, et comment ses instincts héroïques risquent de rentrer en conflit avec sa loyauté pour la Garde et son but :

___→ “Comment es-tu au courant de tout ça ? demanda le Vieil Ours. Une des femmes de Craster ?
___- Oui, messire, avoua-t-il. J'aimerais mieux ne pas dire laquelle. Elle était affolée et demandait de l'aide.
___Le vaste monde est plein de gens qui crient à l'aide, Jon. Puissent certains prendre sur eux de s'aider eux-mêmes. A l'heure qu'il est, Craster roupille encore dans son ganletas, puant le vin et inconscient. Sur sa table, en bas, se trouve une hache tranchante comme un rasoir. S'il n'était que de moi, je la nommerais 'Prière exaucée', je l'utiliserais pour clore le chapitre.”
___Oui. Jon évoqua Vère. Elle et ses sœurs. Elles étaient dix-neuf, et Craster tout seul, mais...
___“Il nous faudrait cependant marquer d'une pierre noire le jour de sa mort. Ton oncle pourrait te parler des occasions où la demeure de Craster fit, entre vie et mort, pencher la balance entre nos patrouilleurs.
___Mon père...” Il hésita.
___“Vas-y, Jon. Dis ce que tu voulais dire.
___- Mon père m'a parlé un jour des hommes qui ne méritaient pas de posséder, acheva-t-il. L'injustice ou la brutalité d'un banneret déshonorent autant que lui-même son suzerain.”
 A Clash of Kings, Jon III

___Encore une fois, Jon veut aider quelqu'un en position de faiblesse, quelqu'un d'innocent ; encore une fois, il pense à Ned. C'est véritablement un instinct héroïque. Mais la réponse de Jeor Mormont est cruciale. Il réfute le désir de corriger tous les maux du monde pas juste avec pragmatisme, mais avec le but et le devoir de la Garde:

___→ “Craster est son propre maître. Il ne nous a pas juré sa foi. Il n'est pas non plus soumis à nos lois. Malgré la noblesse de ton cœur, Jon, retiens la leçon que je vais te donner. Le droit, nous ne saurions l'imposer au monde. Tel n'est d'ailleurs pas notre but. La Garde de Nuit a d'autres batailles à livrer.
___D'autres batailles. Oui. Ne pas l'oublier.
 A Clash of Kings, Jon III

___Jon se souviendra-t-il de cette leçon en devenant Lord Commandant ? Ou suivra-t-il son cœur ?

Traduction : myself // Source : meereeneseblot.wordpress

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