Cette rubrique références historiques/littéraires/mythologiques a déjà exploré plusieurs personnages et périodes, mais principalement par le spectre de l'histoire et la culture européenne (comme en témoigne le précédent article sur Sansa/Alayne). Cette fois, plein focus sur les Targaryen de la Danse des Dragons et l'empire Byzantin...
Egalement connu comme l'Empire romain d'Orient, l'empire byzantin est apparu vers le IVe siècle après JC, et est caractérisé par sa longévité de plus de 1000 ans. Ce sont là de premiers points de comparaisons avec les Targaryen : après la chute de l'Empire Romain à l'ouest, leur empire d'Orient, a perduré sur encore plusieurs siècles - de même, après la chute de l'empire de Valyria lors du Fléau, l'empire des Targaryen a duré encore quelques siècles dans une autre région, en l'occurrence Westeros. C'est plus tard la prise de Constantinople en 1453 par les Turcs, provoquant la chute de la cité, qui a provoqué la disparation de l'Empire byzantin ; de même, lors de la Rébellion de Robert, après des mois d'affrontement entre les fidèles des Targaryen et ceux des Stark, Baratheon et Tully, c'est lorsque Tywin Lannister prend Port-Réal que la dynastie Targaryen s'achève.
A la frontière entre l'Orient et l'Occident, il mêlait des éléments de l'Antiquité mais aussi du Moyen Âge, un vrai melting polt de cultures : polythéisme romain, Christianisme ancien et orthodoxe... Les Targaryen à Westeros ont aussi apporté leur propre culture, finissant par se mélanger avec les traditions andales.
Ce mélange de culture est flagrant dans le pilote de House of the Dragon : lors de la cérémonie au cours de laquelle Viserys déclare officiellement Rhaenrya comme son héritière, la princesse porte une coiffe, des bijoux et une cape qui sont très similaires à ce que portaient les reines de l'empire Byzantin, notamment Theodora, l'épouse de Justinien. D'ailleurs, lors du règne de ce couple royal, il y a eu un conflit en janvier 532, la sédition Nika, opposant deux factions, les Bleus et les Verts, qui ont mis la ville à feu et à sang ; lors de la Danse des Dragons, deux factions, les Noirs et les Verts, ont dévasté le royaume suite à la guerre civile brutale provoquée par leur conflit. Justinien, un peu lâche, voulait fuir, mais Theodora se serait opposée à lui, et aurait prononcé ces paroles :
"Quand il ne resterait d'autre moyen de salut que la fuite, je ne voudrais pas fuir. Ne sommes-nous pas tous voués à la mort dès notre naissance ? Ceux qui ont porté la couronne ne doivent pas survivre à sa perte. Je prie Dieu qu'on ne me voie pas un seul jour sans la pourpre. Que la lumière s'éteigne pour moi lorsqu'on cessera de me saluer du nom d'impératrice ! Toi, autokrator (en désignant l'Empereur), si tu veux fuir, tu as des trésors, le vaisseau est prêt et la mer est libre ; mais crains que l'amour de la vie ne t'expose à un exil misérable et à une mort honteuse. Moi, elle me plaît, cette antique parole : que la pourpre est un beau linceul !" Procope, Discours sur les Guerres
Les vagabondages du frère de Daenerys Targaryen, Viserys, montrent bien comme cela est vrai : après avoir fuit son royaume, on l'appelait le roi mendiant, et on ne le traitait plus avec les honneurs dus à son statut de naissance.
Parallèles entre Viserys et Manuel
House of the Dragon débute lors du Grand Conseil de 101, visant à résoudre la crise de succession suivant la mort des deux fils héritiers de Jaehaerys, avec deux 'favoris' : la princesse Rhaenys, fille du fils aîné de Jaehaerys, et le prince Viserys, fils du fils cadet de Jaehaerys. Bien que Viserys ait été choisi avec une écrasante majorité, beaucoup pensaient que l'autre solution aurait été plus appropriée. Cela n'est pas sans rappeler l'accession au pouvoir de Manuel Comnène : il avait un frère aîné, Isaac, qui aurait eu des prétentions plus légitimes pour succéder à leur père Jean. Mais l'armée choisit Manuel, avec l'aval du roi mourant, et les partisans d'Isaac ne furent pas satisfaits par ce choix.
Viserys et Manuel étaient préoccupés par principalement la diplomatie, leur succession, et les prophéties. Ces trois choses sont interconnectées. Viserys et Manuel veulent garder leur royaume stable après leur mort : cela veut dire s'assurer de la loyauté de leurs sujets, de bonnes relations avec les royaumes voisins, et que les membres de leurs familles soient en bon termes les uns avec les autres. Ils ont tous les deux dédié beaucoup de temps et d'énergie pour accomplir ces objectifs, en finissant par échouer.
Les prophéties jouèrent également un grand rôle dans leurs prises de décisions politiques : Viserys est dirigé par le rêve d'Aegon le Conquérant, qui aurait vu un terrible hiver s'abattre sur le monde, La Longue Nuit, menaçant toute chose vivante. Pour que l'humanité s'en sorte, selon lui, le royaume doit être unifié par un dirigeant Targaryen compétent. Manuel aurait eu une prémonition similaire : alors qu'il dormait, il se serait vu en rêve embarquant à bord d'un navire avec plusieurs de ses amis proches, avec lesquels il naviguèrent en mer de Marmara ; quand soudain, les montagnes de l'Europe et de l'Asie semblèrent s'écrouler, et tout dans le navire détruit fut perdu, alors qu'il regagnait avec difficulté la terre ferme à la nage. Manuel interpréta ce rêve comme la prédiction d'une terrible catastrophe à venir. D'autres sources disent que lors de la seconde croisade, il eut un autre rêve prédisant la mise à sac de Constantinople par les latins.
Et pour finir, il y eut une autre prophétie populaire qui circulait pendant son règne : on demande à un oracle, combien de temps durerait la dynastie d'Alexis Comnène, ce qui à quoi il répondit 'αἷμα', qui en grec ancien signifie 'sang'. Les trois premiers empereurs Comnène furent Alexis, Jean et enfin Manuel. Les premières lettres de ces noms en grec sont α pour Ἀλέξιος (Alexios/Alexis), ἷ pour Ιωάννης (Ioannes/Jean), μ pour Μανουήλ (Manouel/Manuel) ; donc si on suit cette prophétie, le nom du successeur de Manuel devrait débuter par α. Le chroniqueur Nicétas Choniatès écrit que les membres de la famille Comnène attribuèrent beaucoup d'importance à cette prédiction, en particulier Manuel, pour lequel cela confirmait qu'il était plus légitime que son frère Isaac pour gouverner. Mais le premier mariage de Manuel ne lui donna aucun héritier mâle : sa première épouse, Berthe de Sulzbach, mourut en donnant naissance à leur fille Marie en 1159. Les sources racontent que Manuel fut complétement dévasté par la mort de Berthe, bien qu'il ait été de notoriété publique qu'il était un époux très volage.
Parallèles entre Rhaenyra et Béla/Marie
Mais comme Viserys, Manuel pris une décision audacieuse pour assurer la succession : cependant, contrairement à ce dernier, il ne fit pas de sa fille Marie son héritière. Au lieu de cela, il la fiança au prince Béla Árpád de Hongrie, et fit de ce dernier son héritier. Béla était le frère cadet du roi de Hongrie, Étienne III. Cette union aurait cimenté une alliance puissante entre l'empire et leur voisin, les protégeant contre toute agression venant de l'ouest. Mais qu'en est-il de la prophétie αἷμα ? L'une des conditions pour que Béla soit élevé au statut d'héritier de l'empereur était qu'il change de nom pour Alexis. Ainsi, la prophétie aurait été accomplie, et l'alliance et la succession sécurisées. Dans une cérémonie similaire à celle qu'on voit dans le pilote, des dignitaires romains et des membres de la famille impériale prêtent ainsi allégeance au futur empereur Alexis. Choisir un prince hongrois comme héritier était une décision aussi controversée que choisir une femme comme héritière à Westeros.
Béla n'était pas une femme, mais il était étranger, et son accession au trône aurait été opposée par tous les ambitieux mâles de la lignée Comnène. De plus, le frère de Béla, Étienne, meurt en 1172 sans aucun héritier mâle survivant, c'est donc Béla qui prend sa suite et devient roi de Hongrie. Si Béla était resté héritier de l'empire byzantin, cela aurait pu résulter en une union personnelle entre deux puissants royaumes, et l'histoire aurait pu tourner très différemment. Cependant, trois ans avant la mort d'Étienne, la seconde épouse de Manuel, Marie d'Antioche, mit au monde un fils, Alexis. Les fiançailles de Marie et de Béla furent rompues, Béla redevint un simple prince hongrois. Il reçut le titre honorifique de César, mais ce fut sans doute une maigre consolation. Sans surprise, le fils de Manuel fut nommé Alexis. Cela peut rappeler la façon dont les Targaryen étaient obsédés par le prénom Aegon, que plusieurs d'entre eux ont porté : sur quatre siècle, les empereurs de la dynastie Comnène portaient presque tous un prénom qui commençait par la lettre A, I ou M.
Parallèles entre Daemon et Andronic
Cette prophétie était donc bien accomplie : et l'un de ses plus fervents croyants (en dehors de l'empereur) était le cousin de Manuel, Andronic. Ce dernier présente de très nombreux et très troublants parallèles avec Daemon - il avait même une rivalité avec son neveu borgne, Isaac ! - laissant penser que GRRM s'est très largement inspiré de cette figure historique pour créer le prince rebelle. Comme Daemon et Viserys, Andronic et Manuel était très proches, Andronic défendant son cousin dès qu'il estimait qu'on lui avait fait offense. Ces relations font que plus tard dans leur vie, ni Viserys ni Manuel n'ont pu prendre de décision ferme quant à leur turbulent frère/cousin. Daemon et Andronic étaient très charismatiques, arrogants, et magnétiques ; on dit même qu'Andronic avait un physique digne de l'empire. En raison de leur charme et stature naturel, ils attiraient tous deux les projets de complots et de sédition. Daemon est un dragonnier et manie l'épée d'un conquérant, tandis qu'Andronic avait une aura spéciale à cause de la prophétie αἷμα.
En défense de Daemon, sa rébellion contre son frère n'atteint pas le niveau des transgressions d'Andronic. Dans la série, il agit toujours de façon effrontée et rebelle, mais sa qualité rédemptrice est supposée être le fait qu'il ne ferait jamais de mal à son frère... tandis qu'Andronic a purement et simplement comploté pour faire assassiner Manuel. Et en sachant cela, il est encore plus aberrant que le cousin de l'empereur ait sans cesse été pardonné par ce dernier : quand il a comploté pour le renverser, quand il s'est enfuit avec sa nièce, ou débuté une campagne militaire dangereuse et non approuvée par son seigneur et maître. Tout ce qu'Andronic et Daemon avaient à faire, était de jouer les repentis pour un instant, et leur empereur et roi pensaient qu'ils avaient changé, se contentant alors de leur donner une tape sur les doigts et de les envoyer gouverner leurs provinces, comme le ferait un frère ou un cousin loyal et soucieux de son devoir. Manuel envoyait Andronic en Cilicie, tandis que Viserys souhaite que Daemon rentre auprès de son épouse dans le Val. Bien entendu, gouverner les ennui, et peu de temps après Andronic comme Daemon partent dans une nouvelle aventure risquée qui leur amène d'autres problèmes.
C'est là que l'histoire devient moins crédible qu'un roman fantastique : pour Daemon, on comprends que son dragon lui permette d'aller et venir à sa guise, alors qu'Andronic n'avait que son charisme. En lisant ses exploits, découvrir qu'il avait un dragon n'aurait pas été une surprise, car cet homme a quand même gardé sa tête après avoir séduit toutes les nobles à l'est de l'Italie ! Le seul moment où il semble que Andronic et Daemon aient été un tant soit peu matés est quand ils s'enfuient à l'est avec une de leur très jeune nièce : Daemon a épousé sa nièce (cousine ? je m'y perds) Laena Velaryon, qui avait 20 ans de moins que lui ; Andronic a pris la poudre d'escampette avec sa nièce Theodora à Damas, alors qu'il avait la cinquantaine et Theodora seulement 17 ans. Et à ce stade, ils avaient aussi eu quelque chose avec une AUTRE de leur nièce, Rhaenyra et Eudoxie, mais cette nouvelle relation semble différente, et s'avère être plus qu'une histoire de passage : Andronic et Daemon deviennent ainsi des chefs de famille, menant une vie d'aventures à l'est, loin des intrigues de la capitale. Ils semblent heureux de cette situation, jusqu'à ce que le destin intervienne : Laena meurt, tandis que Theodora est capturée et ramenée à Constantinople avec ses enfants. Ces événements ramènent Daemon et Andronic au cœur des événements politiques du royaume, avec quelques conséquences finales désastreuses.
Il y a plusieurs autres similitudes dans leurs descriptions. Des rumeurs de conspiration circulent sur Daemon, tandis qu'Andronic était bien sûr impliqué dans une réelle conspiration. Les retombées de la tentative de meurtre à son encontre furent sûrement la seule occasion où Manuel se montra sévère envers Andronic : ce dernier fut enfermé dans un donjon, mais étant un homme plein de ressources, Andronic mit au point un plan digne des Evadés (il découvrit un vieux passage souterrain sous sa cellule, puis reboucha la sortie derrière lui) pour s'enfuir trouver refuge chez sa famille et rassembler une armée en soutient de Manuel dans sa guerre contre la Hongrie. Cette action lui gagna le pardon de son cousin, et d'après des sources ils se sont même étreints à l'occasion. Cela peut rappeler la Guerre des Degrés dans HOTD, qui permet à Daemon de regagner la faveur de son frère en lui dédiant sa victoire et lui jurant sa loyauté inconditionnelle.
Plus tard, Andronic devint empereur... et il fut l'un des pires que l'on puisse imaginer. A la mort de Manuel, laissant son fils de 11 ans Alexis pour lui succéder, Andronic pris rapidement la régence, et se débarrassa brutalement de ses opposants. Il s'assura ensuite le contrôle de son neveu, lui faisant signer la condamnation à mort de sa propre mère, avant d'ordonner à ses hommes d'étrangler Alexis, alors âgé de seulement 14 ans, puis de lester son corps et de le jeter dans le Bosphore. Quelques années plus tard, quand un prétendant assurant être Alexis apparut dans les Balkans, Andronic aurait dit "Eh bien, il doit être très bon nageur." Daemon "l'héritier d'un jour" aurait sûrement été capable de sortir une remarque de ce genre. La chute d'Andronic fut très macbéthienne. Croyant en la prophétie αἷμα et à présent empereur, Andronic était inquiet quant à ceux dont le prénom commençait par un I. Il envoya ses hommes assassiner un officier, Isaac Angelos, mais ce dernier survécut à la tentative de meurtre, et attisa les habitants de la capitale pour renverser la tyrannie d'Andronic. A ce stade, le peuple avait bien compris qui était le méchant, et aucun numéro de charme ne sauverait plus Andronic. Trois ans plus tôt, tout le monde avait applaudit Andronic à son retour à la capitale, soi-disant pour rétablir l'ordre dans une régence troublée : ce même peuple applaudissait alors qu'Andronic était écartelé et démembré vivant dans l'hippodrome.
Conclusion
Les espoirs d'une succession stable furent réduits à néant à l'instant où Viserys laissa échapper son dernier râle d'agonie, et que sa famille commença à s'entretuer seulement quelques jours après ses funérailles. Une guerre civile brutale, la Danse des Dragons, éclata et prit les vies de plusieurs d'entre eux, l'exact opposé de ce qu'aurait souhaité Viserys. Viserys et Manuel avaient le même défaut fatal : ils étaient indécis. Manuel a eu beaucoup de bonnes initiatives tout au long de son règne ; son pari hongrois, son alliance avec le royaume de Jérusalem ou les cités-états italiennes, ou encore sa campagne anatolienne. Ses idées auraient pu fonctionner, avec un peu plus de préparation ou d'investissement, mais aucunes de ces initiatives ne portèrent leurs fruits. Elles furent toutes bâclées et abandonnées avant d'atteindre leur seule conclusion logique. Ces vas-et-viens constants émoussèrent la confiance qui existaient entre les byzantins et leurs alliés catholiques au début du règne de Manuel : il voulait être allié avec tout le monde, et au final ne se fit aucun allié. 24 ans après la mort de Manuel, les croisés latins mirent à sac Constantinople, et le rêve prophétique de l'empereur devint réalité.
On peut faire les mêmes reproches à Viserys. Il parle beaucoup pour dire que tout le monde devrait s'entendre, mais ne fait pas d'efforts et d'investissements pour que cela puisse se faire. Et pire, confronté à un choix entre deux moitiés de sa famille, il refuse d'en faire un, et essaye d'ignorer les conséquences. Cela a contribué au mauvais sang entre les membres de sa famille, comme aucun conflit n'est jamais résolu, qu'il n'y a jamais eu aucune conclusion apportée. Il est trop passif avec Daemon, comme Manuel l'était avec Andronic. Il ne déshérite pas Rhaenyra quand il devient clair que ses enfants sont illégitimes, mais il ne réaffirme pas non plus que ce sera elle son héritière : plus de deux décennies se sont écoulées depuis que les seigneurs ont prêté allégeance à sa fille, plusieurs d'entre eux sont morts depuis, et ni leurs successeurs, ni les fils du roi, n'ont eu à déclarer leur allégeance. Cela a créé une situation instable, à laquelle il a suffit d'un accident pour que de simples tensions dégénèrent en une guerre brutale. L'indécision, la diplomatie, et la permissivité excessive de ces deux dirigeants envers les membres de leur famille ont rendu inévitable la débâcle de leurs dynasties respectives.
Traduction : moi // Sources : x, x
