vendredi 21 mai 2021

Les monstres du Feu & de la Glace [3/5] : en eaux profondes

 

___Il y a de nombreux monstres marins mentionnés dans A Song of Ice and Fire, des sirènes en passant par des dragons de mer. Que sont-ils, et d'où viennent-ils ? Winter Is Coming théorise à ce sujet dans la troisième partie de leur série sur les monstres d'ASOIAF.

__ Les deux premières parties de cette série traduite sur le blog parlaient de monstres bien spécifiques (Les dragons de Daenerys et ser Robert Strong) ; cette fois, cette partie s'intéresse à un groupe de monstres plus varié, seulement connecté par leur habitat : les monstres aquatiques.

__ Si vous avez regardé Game of Thrones et/ou lu A Song of Ice and Fire une seule fois, vous avez sûrement manqué les mentions de ces créatures. Les monstres marins ne tiennent pas une place centrale dans cet univers, surtout en comparaison avec les dragons. Mais d'une certaine façon, cela les rend plus intéressants. Ils conservent une part de mystère. Et qui sait ? On pourrait peut-être en croiser un ou deux dans les prochains tomes ou prequels.

→→→Les dragons de mer

__ Commençons par le monstre maritime le plus célèbre de l'histoire : Nagga, le dragon de mer. Elle semble plus réelle et proche de l'histoire que la plupart des autres créatures de cette analyse. Il y a deux raisons à cela. D'abord, il y a des preuves tangibles que Nagga a bel et bien existé : ses ossements. Ils se trouvent toujours sur les Îles de Fer, et l'assemblée des rois a lieu à proximité de ces derniers dans A Feast for Crows. La deuxième raison est que Nagga, étant un dragon de mer, partage peut-être un lien de parenté éloigné avec les autres dragons de l'histoire. Quand ASOIAF/GOT démarre, les dragons sont éteints, mais nous assistons ensuite à leur retour. Cela pourrait-il aussi être le cas des dragons de mer ? Ont-ils seulement vraiment disparu ?

__ On peut faire un rapprochement entre notre monde et celui d'ASOIAF ici. Au moins jusqu'au début de l'ère moderne (vers 1500), les monstres marins étaient un mélange de science naturelle et d'exagérations/déformations. D'abord, il n'y avait pas vraiment de science à cette époque, mais plutôt une histoire de la nature. Et l'histoire de la nature de l'époque était plutôt basée sur des traditions, et pas sur des explications rationnelles. Quand la science naturelle, la zoologie en particulier, s'est développée, les choses ont commencé à changer. De vieux écrits et récits de navigateurs ne faisaient plus autant foi. Pendant les siècles qui ont suivi, les histoires de monstres marins étaient considérées comme des légendes. Mais en 2008, il y a eu deux surprises.

__ Ces surprises s'appellent architeuthis dux et mesonychoteuthis hamiltoni : d'après de récentes découvertes, architeuthis dux, le calamar géant, mesure 12 mètres de long. Mesonychoteuthis hamiltoni, le calamar colossal, pourrait atteindre 15 mètres de long. Il y a cependant eu des rumeurs d'individus des deux espèces mesurant 30 mètres de long, sans doute une erreur due à la flexibilité des tentacules des spécimens trouvés. Si c'est cependant le cas, ces deux espèces peuvent très bien atteindre des dimensions plus importantes que 12-15 mètres. Même un calamar de 20 ou 30 mètres est minuscule en comparaison avec ce que les profondeurs de l'océan cachent.


__ Si ces deux espèces sont restées cachées de l'humanité jusqu'au 21e siècle, les dragons de mer de Martin pourraient-ils rester cachés des habitants de Westeros ? Ce serait absurde de supposer qu'ils ont purement et simplement disparu, même si Nagga est morte depuis plusieurs milliers d'années.

__ Le seul dragon de mer dont nous connaissons le nom, Nagga, fait partie de ce qu'on peut considérer comme le mythe fondateur des Fer-nés. Nagga serait le tout premier dragon de mer, tellement énorme et forte qu'elle pouvait briser des îles et les entraîner dans les profondeurs. Dans la légende Fer-née, elle ne semble pas être une créature du Dieu Noyé : d'après le mythe, le Dieu Noyé aurait aidé le Roi Gris, le fondateur légendaire des Fer-Nés, à la tuer. Les Fer-Nés lient Nagga au Dieu des Tornades, la perpétuelle nemesis du Dieu Noyé.

__ Les ossements de Nagga - si ce sont bien ses ossements sur la Colline de Nagga - sont un site sacré très important pour les Fer-Nés. Au moment de l'histoire, ses restes - ses côtes - jaillissent de la terre comme des piliers. Il est dit qu'à cet endroit se tenait naguère la grande salle du Roi Gris, à laquelle s'est ajoutée un trône construit des mâchoires de Nagga, et que le roi a mis le feu à ses restes pour se tenir chaud. Mais dans ce passé légendaire, le Dieu des Tornades a pris le trône, le feu et la couronne après la mort du Roi Gris.

→→→Les Monstres ont du sens

__ L'histoire de Nagga et du Roi Gris peut être vue comme l'histoire de la domestication des îles et des mers, une version qu'auraient écrite certains des Premiers Hommes quand ils ont décidé de quitter les verts pâturages et s'installer sur les Îles de Fer. On peut voir là-dedans la peur d'une population qui n'avait jusqu'à présent connu que la vie sur une terre sèche. La plupart d'entre eux ne savaient sûrement même pas nager. Se rendre en mer pour la première fois a sans doute été impressionnant, surtout dans une société qui n'avait pas de moyens autres d'expérimenter la mer que de la voir. Cette histoire a pour but de bâtir une confiance de différentes façons : la mer est bonne, la tempête mauvaise, mais inférieure, et la noyade est la meilleure façon de mourir, un aller direct pour le Valhalla du Dieu Noyé.

__ C'est un retournement intéressant que Nagga, en tant que dragon de mer, ne soit pas associée à la figure divine marine, le Dieu Noyé, mais au Dieu des Tornades. Le Die udes Tornades et le Dieu Noyé ne font pas partie de la mythologie répandue des Premiers Hommes, mais sont un dieu des mers et une déesse des vents qui seraient mari et femme. On peut supposer que les Fer-nés ont changé la norme et leurs croyances pour s'ajuster à leur nouvelle situation.


→→→La Petite Sirène de Durran

__ Puisqu'on parlait du dieu des mers et de la déesse des vents des Premiers Hommes, ces derniers ont une fille, Elenei. Il n'y a pas de preuve textuelle, mais Elenei est dépeinte sous les traits d'une sirène dans des images officielles. Les sirènes ont été mentionnées dans ASOIAF, on sait donc que cela fait partie des mythes de Westeros, même si les livres ne l'explorent guère - il y a aussi une théorie qui dit que Varys serait une sirène, mais vous savez déjà ce que j'en pense lol.

__ Pendant le Moyen ge et le début de l'ère moderne, les gens ne pensaient pas aux sirènes de la façon dont nous le faisons. Il y a deux traditions dominantes, mais il n'est pas clair de si l'une a un rapport avec l'autre. La première vient de Grèce : la sirène, une créature mi-femme, mi-oiseau. La deuxième est celle de Melusine, uen créature mi-femme, mi-dragon, qui ressemble à un être humain normal 6 jours sur 7, et ne se transforme en dragon que quand elle se baigne les samedi - c'est elle sur le logo Starbuck.

__ Dans son histoire, Mélusine épouse un noble, et ils ont tous les deux du succès. Ils deviennent les fondateurs de la maison de Lusignan, avant que son époux ne rompt sa promesse de ne pas la déranger le samedi, et ne la voit avec sa queue de dragon. Quand elle sait que son vœu a été rompu, elle doit quitter son foyer et sa maison, en s'envolant sous l'apparence d'un dragon.

→→→Qu'est-ce qu'il y a dans un nom ?

__ Les deux traditions effleurent le concept de la nymphe, plus spécialement la Naïade. Un exemple particulièrement élaboré est présent dans un écrit de Paracelsus, Liber de nymphis, sylphis, pygmaeis et salamandris et de caeteris spiritibus, ou pour faire plus court le Liber de nymphis. Paracelsus était un alchimiste, et un personnage assez controversé, qui a vécu au 16e siècle. C'est lui qui a dit, “La dose fait le poison.”

__ Paracelsus considère que les nymphes sont des esprits élémentaires de l'eau, et dit à leur sujet,

→→→ [Sie sind] gleich den Geistern in Geschwindigkeit / gleich dem Menschen in Geberung / Gestalt und Essen: und also seind sie Leut / die Geist art an ihn haben / dorbey auch Menschen art / und ist ein Ding[.]

→→→ [Elles sont égales aux esprits en vitesse, égales aux humains dans leur création, leur forme et leur nourriture, et elles sont donc des êtres qui sont la nature des esprits et la nature des humains, et les deux sont la même chose.]


__ Il ne trouve pas le terme “nymphe” approprié, et dit plutôt,

→→→ Die im Wasser sind Nymphen. [...] Nun aber / daß sie recht Nammen haben / das ist nicht / sondern solch Nammen / so ich do fürhalt / dieselbigen Nammen sind geben worden von denen / die sie nicht erkennt haben. Dieweil sie aber die ding bedeutten / so laß ichs dobey auch bleiben. Wiewol von Wasserleuten “Undina” der Namm auch ist.

→→→ [Celles dans l'eau sont des nymphes. [...] Ce n'est pas à dire que c'est leur vrai nom, cependant, d'après moi. Ces noms leur ont été donnés par des gens qui les connaissaient mal. Parce que ces noms au moins rendent clair ce qu'ils veulent dire, je ne les changerais pas. Cela étant dit, un autre nom pour le peuple des mer serait “Undina”.]

__ NB : ces extraits ont été traduits de l'allemand à l'anglais par l'auteur original, et derrière j'ai traduit sa traduction en français, donc c'est probablement pas parfait. S'il y a des germanophones par là, vos suggestions sont les bienvenues. Pour faire court, une chose est claire : à quel point les nymphes peuvent être envisagées comme des créatures aquatiques similaires aux sirènes de Martin.

__ Pour Paracelsus, Mélusine n'est pas une nymphe ou sirène classique : elle a fait un pacte avec le diable, ce qui explique la queue de dragon qui lui pousse tous les samedi, et sa transformation finale en dragon. Cela veut dire qu'elle n'est pas née avec ses attributs non-humains, d'après Paracelsus. En termes d'apparence, il n'y a rien qui ne la différencie d'un humain normal.


→→→Ils vous mangeraient tout crus

__ Il y a une autre catégorie de créatures marines supposées exister à Westeros : les esquicheurs (vo : squishers). Ce qu'on sait d'eux nous est transmis par Clarence Crabbe alors que ce dernier voyage avec Brienne et Podrick dans AFFC. Ils seraient supposés être pourvus d'une tête disproportionnée, d'une peau d'une blancheur translucide, d'extrémités palmées, d'écailles en guise de poils, de dents vertes et pointues comme des aiguilles.

__ Les esquicheurs ont l'air beaucoup moins beaux que les sirènes, et bien plus malfaisants - ils seraient une sorte de croquemitaine, qui s'emparent la nuit des méchants enfants, se servant des garçons pour se nourrir, et des filles pour se reproduire. Il y a quand même des similarités. Peut-être que les histoires sur les sirènes et les esquicheurs ont la même provenance, mais ont été déformées à travers les siècles et les millénaires. La tradition affirme que les Premiers Hommes les ont tous anéantis.

→→→Trois Traditions

__ Il y a donc trois traditions abordées, chacune d'elle basée sur différentes peurs humaines qui existent aussi bien dans notre monde que dans celui d'ASOIAF. Les monstres marins comme les dragons de mer représentent la peur de l'immense inconnu qu'est l'océan. Plus que n'importe quel autre endroit sur Terre (ou “Planetos”), la mer reste mystérieuse. C'est le seul endroit sur terre où peuvent se dissimuler des choses que nous n'avons pas encore découvertes. Aujourd'hui encore, quand vous êtes en haute mer, la pensée de ce qu'il peut y avoir sous vos pieds peut vous rendre mal à l'aise. Cette peur aurait été encore plus forte à l'époque médiévale, où la plupart des gens ne savaient pas nager ou n'avaient jamais vu autant d'eau au même endroit.

__ Mélusine, le concept moderne de la nymphe dans la pop culture, les sirènes du style de Disney et l'épouse de Durran Dieux-deuil Elenei sont une toute autre histoire. Cela ne semble pas anodin que cette variété de peuple aquatique soit en majorité des femmes. Ces créatures sont les manifestations féminines des Autres. On voit ça dans l'histoire de Durran Dieux-deuil, dans les différentes versions de l'histoire de Mélusine, et dans des histoires comme le conte de Ritter Peter von Stauffenberg und die Meerfeye.

__ Épouser et besogner une meerfayn (un terme médiéval germanique plus ou moins équivalent à “fée des mers”) est tentant mais aussi dangereux. Melusine apporte prospérité à son époux et lui donnent de nombreux et vigoureux fils, mais ces fils sont entachés, leurs corps déformés en certains endroits, et leurs esprits différents. Et il y a toujours la possibilité que la belle épouse se change en un dragon terrifiant avant de disparaître si son secret était découvert. Ces histoires évoquent le malaise et la méconnaissance masculine face au corps féminin, et aux femmes en général. Elenei est la fille d'un dieu et d'une déesse, une position qui vient avec de nombreuses bénédictions, mais aussi la colère de ses parents divins : ces derniers tuent toute la famille de Durran et ses invités lors de son mariage avec Elenei, avant de détruire son château. Durran, cependant, rebâti : la légende raconte qu'il a construit sept châteaux, mais c'est peut-être une petite anecdote ajoutée par la Foi des Sept. Le dernier château qu'il a construit est toujours entier à Westeros. Il s'agit d'Accalmie.


__ La troisième tradition, représentée par les esquicheurs, n'a pas un rôle aussi important à Westeros ou dans l'histoire de l'Europe, et tire ses origines dans d'autres créatures qui n'ont pas de rapport avec l'eau ou les poissons. Cette catégorie transgresse les frontières entre humain et animal. Bien qu'Elenei et Mélusine aient aussi une apparence mi humaine, mi animale, elles ne se conduisent pas comme des animaux. D'après le peu qu'on sait des esquicheurs, ils sont différents. Comme les loup-garous, ils ressemblent à des animaux et se conduisent comme des animaux, en particulier de la façon dont les prédateurs sont supposés se conduire d'après l'imaginaire collectif médiéval. Ils ressemblent vaguement à des humains, mais au sang froid et brutaux, représentant le côté sauvage et bestial de l'humanité. La transgression des frontières entre humains et animaux est souvent accompagnée de connotations sexuelles, les animaux étant associés à un manque d'inhibition et de honte.

__ Quand on compare l'univers du Feu et de la Glace à notre monde réel, on devrait se rappeler deux choses : 1) de nos jours, on sait plus ou moins ce qui est réel et ce qui ne l'est pas (bien qu'on peut toujours avoir des surprises, comme avec le calamar géant) ; 2) ces deux mondes ne sont pas égaux ; l'un des deux est le produit de l'imagination de l'autre. Ce qui veut dire que certaines des créatures mentionnées précédemment peuvent être imaginaires dans les deux mondes, tandis que d'autres seront imaginaires dans notre monde mais réelles à Westeros, comme les dragons et les Autres. On pourrait dire que les premiers sont plus intéressants, car façonnés par les esprits de deux cultures très différentes : l'une moderne, l'autre pré-moderne. On pourrait en apprendre beaucoup sur Westeros et le monde étendu du Feu et de la Glace en s'intéressant à leurs monstres imaginaires, et aux différences entre ces derniers et ceux qu'on imagine. On pourrait aussi en apprendre sur notre propre monde.

→→→Conclusion

__ Il y a encore d'autres créatures aquatiques dans ASOIAF, pour lesquelles on a très peu d'informations. D'abord les Profonds, qui pourraient ou pourraient ne pas être la même chose que les tritons/sirènes. Ensuite, il y a les “choses mortes dans l'eau” que Cotter Pyke mentionne quand il écrit depuis Durlieu. Des spectres qui savent nager ? Des calamars géants zombies ?

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